C’est d’un très long silence qu’est né Le Grand Scandale. Celui que garda lors de son procès, comme en prison, puis lors de sa réclusion dans l’obscurité d’une abbaye du Morbihan, le curé d’Uruffe qui, en décembre 1956 tua sa maîtresse – âgée de 19 ans et enceinte de ses œuvres – d’un coup de révolver avant de l’éventrer à l’aide d’un canif, de tuer le fœtus (âgé de huit mois et donc viable) et de le défigurer à coups de couteau pour qu’on ne puisse pas reconnaître qu’il en était le père.
C’est à ce grand silence autour d’un aussi grand scandale qu’Hubert Gonnet a voulu répondre par un livre lui-même monstrueux, par sa taille – 500 pages –, son personnage directement inspiré du curé d’Uruffe, et sa structure puisque le roman, divisé en trois parties – Qui ? Pourquoi ? Comment ? – est constitué de deux récits qui se font face, page de gauche, page de droite, « mélodie et accompagnement » ou « côté externe et côté interne », comme le dit l’auteur. Page de gauche donc, le récit de l’enquête qui suit le meurtre de la jeune Rose Médieu, et les interrogatoires du juge d’instruction. Page de droite, le monologue intérieur de l’abbé Dupin, sa « confession », donnant à entendre les harmoniques de l’inconciliable, les nœuds de coagulation, les points de cristallisation et les cycles de plénitude et de désolation d’une vie de passions éperdues et de fécondité maléfique. Deux romans en un seul, mais dont les vis-à-vis sont si subtilement agencés que leur lecture est toujours parfaitement fluide.
Un « essai d’interprétation », dit Hubert Gonnet, un auteur dont on sait peu de choses. Né en Picardie, en 1924, il a fait des études de droit et de psychologie avant de voir Maurice Nadeau publier Karl, son premier roman, dans la collection « Les lettres nouvelles » qu’il venait de créer chez Julliard, en 1953. Suivront six autres romans – dont Faire le Jacques qui, dix-sept ans avant Perec et sa Vie mode d’emploi, raconte l’histoire d’un immeuble, étage par étage – tous, bâtis sur des structures narratives novatrices dignes du Nouveau Roman. Après Voyage au Strömland, une sorte de réécriture des Chants de Maldoror (1969), plus rien ne paraîtra bien que l’auteur continuât d’écrire tout en menant une vie de berger dans l’Aveyron. Il meurt en 1994.
Dans Le Grand Scandale (1966) il a choisi un mode de récit où la structure vaut pour le sens, le visible et l’invisible se faisant face et se nourrissant mutuellement dans un rapport croisé où ce qui est dit tient son entière valeur de ce qui ne peut se dire. Un dispositif qui lui permet de déployer une orchestration à plusieurs voix de l’éternel conflit, et de l’éternelle complicité, de la lumière et de l’ombre, tout en immergeant le lecteur dans une expérience peu commune, celle d’un prêtre qui a voulu mener une vie d’homme sans jamais renier sa foi ni renoncer à son apostolat.
Ainsi derrière l’ensemble des faits et gestes que reconstituent et précisent l’enquête comme pendant les...
Histoire littéraire Le noir reliquaire d’un sillage de feu
juillet 2025 | Le Matricule des Anges n°265
| par
Richard Blin
Se réappropriant l’histoire malsainte d’un prêtre assassin, Hubert Gonnet a écrit un livre dont la sombre radiance tient autant à ce qui ne peut se dire qu’à la réalité sacrale du sexe féminin.
Un livre

