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Égarés, oubliés Dans la fumée des cigarettes

mai 2025 | Le Matricule des Anges n°263 | par Éric Dussert

Véritable couteau suisse de la littérature française, Pierre Corrard aurait pu devenir un écrivain fameux.

Coincé entre Barrès et Willy – mais plus Willy que Barrès –, entre symbolisme et modernité, entre guerre franco-prussienne et Première Guerre mondiale, Pierre Corrard n’aura pas longtemps brillé. À 37 ans, le 21 novembre 1914, au Four-de-Paris, sur le plateau de Bolante dans la forêt d’Argonne, le sergent du 46e régiment d’infanterie Pierre Marie Maurice Corrard tomba à la tête de ses hommes lors d’une charge à la baïonnette. (Il était né le 10 juillet 1877 à Boulogne-sur-Seine et avait une épouse, Nicole). La littérature perdait un être original, dont on venait de reconnaître sans mal les « dons de poète ».
De lui-même, il avait écrit « J’ai des élégances à moi/ Que personne/ Sous mon dehors quelconque et froid/ ne soupçonne. » Aussi bien, n’était cette discrétion qui l’exclut du clan des dandys, aurait-il pu être associé à des Jean de Tinan, Francis de Miomandre, et pourquoi pas au jeune Cocteau – auquel il aurait peut-être fait de l’ombre… Sa bibliographie est riche mais simple : ce sont trois recueils de poèmes imprimés par Messein entre 1900 et 1910, et dix volumes de proses publiés à la Librairie mondiale (bientôt Albin Michel) entre 1901 et 1914, depuis Un cœur de courtisane jusqu’à La Bohême d’aujourd’hui dans lequel se reconnaîtront tous ses amis… Il avait commencé par L’École des maîtresses (1903) que Le Triboulet (2 septembre 1906) trouvait bien un peu « pervers », tandis que La Nuit du gnome (1905) était jugé satirique et fantastique. C’est peut-être dans La Nuit de Philodore (1906) que Corrard commença à se réaliser, entreprenant en trois volumes quelque chose qui ressemble à une vie de son temps « où s’agite en une atmosphère de fête la curieuse figure du bohème Philodore ». C’est une œuvre charmante qui avait, suivant en cela la fameuse méthode mercatique de Félicien Champsaur, une profusion d’illustrations réalisées par les meilleurs dessinateurs de l’époque. On peut nommer A. Guillaume, Léandre, Redon, Steinen, Wély, Widbopff, Mirande, Grün ou Préjelan et l’on en oublie probablement. Laissons Le Triboulet faire l’article : « L’intrigue est des plus simples ; la voici en quelques lignes. Escorté d’un essaim de jolies femmes et de fêtards, qui l’ont ramassé dans la rue, le très curieux bohème Philodore déambule toute la nuit à travers la fête de Neuilly, puis à Montmartre, pour échouer au Pré Catelan. Et il ne cesse de divertir ses compagnons d’histoires hilarantes, d’opinions curieuses et d’appréciations imprévues, qu’interrompent fréquemment des aventures inimaginables. » À la fois satirique et documentaire, si l’on peut dire, la série de trois romans (avec La Nuit de Philodore et Les Facéties d’un sage, 1907) se clôt par La Bohême d’aujourd’hui (1914) comme un tableau que Corrard aurait avivé avec les portraits de ses contemporains. Ces romans ne manquent ni de serrures à travers lesquelles observer les dessous de ses dames, ni de clés qui désignent ces messieurs…
Après sa mort, on souligne son « souple talent » qui lui a permis d’évoluer rapidement des poèmes de Glanes (1901) au roman destiné à un large public et aux pensées sur l’esthétique. « En art, rien n’est vrai qui soit vrai.// Le pis qu’on puisse dire d’un portrait, c’est qu’il est frappant ; d’un paysage, qu’il est naturel.// L’art est essentiellement synthétique. Mais il y a le détail synthétique ou caractéristique. » Dans À volets clos (Messein, 1910), son dernier opus poétique, il est plus net encore que son talent prend de l’ampleur. Ses images sont nouvelles, il interroge le monde moderne, les boxeurs, les mouvements du monde moderne, ses locomotives et ses usines… ainsi que son « moi ».
« Mon aube fut terne. Parmi l’enchevêtrement de préjugés broussailleux, dans leur ombre quiète où ne m’offusqua jamais l’éclat d’un enthousiasme, ma vie poussa sa tige, qui montait, montait chaque jour et régulièrement, sans s’épanouir en fleur./ Que d’années je perdis ainsi à m’ignorer !/ Que d’hommes s’ignorent ainsi jusqu’au bout ! » (« L’Homme qui trouva son moi », 1908)
Pierre Corrard laissait des manuscrits que sa femme Nicolas publia activement. Elle fonda par ailleurs le prix Corrard que la SGDL remit quelque temps à un jeune romancier de moins de 35 ans.
« Soleil, très fantasque et fourbe soleil, qu’es-tu ?/ Rien. – N’est-ce pas moi qui te prête ta vertu/ De fulgurer ainsi dans des cieux chimériques ! (…) Aussi quand je te vois – plagiaire notoire – incendier l’espace et l’abreuver de gloire/ j’ai parfois, m’endormant sous toi qui ris, flambant,/ L’orgueil, énorme de mépris, tu l’imagines, / que c’est mon âme, en irradiant, qui t’illumine ! » Qu’aurait donc produit de plus surprenant encore, Pierre Corrard, s’il avait vécu ?

Éric Dussert

Dans la fumée des cigarettes Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°263 , mai 2025.
LMDA papier n°263
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LMDA PDF n°263
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