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Théâtre Sortir de la peine

janvier 2025 | Le Matricule des Anges n°259 | par Laurence Cazaux

Avec Léviathan (matériau), Guillaume Poix nous confronte aux dysfonctionnements de la justice en France.

Léviathan (matériau)

À l’origine, le Léviathan est un monstre colossal responsable du chaos primitif. Puis le philosophe Thomas Hobbes fait du Léviathan le symbole de la pensée politique de l’État. Selon lui, l’homme est un loup pour l’homme, il faut donc un pacte social pour éviter, par exemple, qu’il ne se fasse justice lui-même. La pièce de Guillaume Poix, Léviathan (matériau), est une invitation à réfléchir sur la question de la justice en France. C’est un texte politique. Ce n’est pas seulement un documentaire. Ce n’est pas non plus une fiction. C’est un matériau avec un certain nombre de séquences dont l’auteur nous dit que l’ordre et le choix sont libres, séquences qui donnent à penser et à ressentir. Le texte est en effet souvent saisissant, certaines situations décrites provoquent de la sidération et de la colère. On sort secoués de notre lecture. C’est sûrement le résultat d’un long processus de maturation, mené en collaboration avec la metteuse en scène Lorraine de Sagazan. Le temps de rencontres en amont de l’écriture semble déterminant. Il faut saluer ce travail de longue haleine permettant de créer un théâtre qui soit un miroir-coup de poing de notre société.
Guillaume Poix, dans une préface, retrace le long cheminement de cette écriture singulière. Il parle d’immersions au pluriel. Il suit ainsi une formation en justice restaurative, passe plusieurs semaines auprès des personnels de la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone (Hérault), assiste à de nombreuses journées d’audience de comparution immédiate au tribunal correctionnel de Paris et rencontre avocats, magistrats, procureurs, personnes détenues, animateurs d’associations de réinsertion. L’écriture va ensuite se confronter au travail de répétition, permettant selon l’auteur de « tracer un geste capable de rendre compte de toute cette somme documentaire sans toutefois s’y limiter ». Et de questionner avec force les pratiques de la justice et surtout celle de la comparution immédiate, « cette exception procédurale française unanimement décriée tant par les avocats que par les magistrats en raison de son caractère expéditif ». Un personnage, le témoin, « un usager fidèle du service public policier, judiciaire et pénitentiaire », raconte : « Chaque audience ne dure que quelques minutes./ En France, il y en a soixante mille par an./ Et c’est exponentiel./ À l’origine, c’était une procédure d’exception qui s’est gentiment normalisée au fil de temps./ Ça arrive souvent, ça, j’ai remarqué. / L’exception qui devient la règle. » Et de poser ensuite toute une série de questions : « Pourquoi ça exalte autant, de punir ? / Pourquoi se focaliser autant sur le coupable ? / Pourquoi ne pas plutôt se concentrer sur la blessure et sur la victime ? Nietzsche, par exemple, il explique que pendant longtemps, on a privilégié la réparation à la peine. / Le dédommagement au châtiment. » La pièce est un plaidoyer pour aller vers une justice restaurative et réparatrice plutôt que simplement répressive.
Avec les nombreux témoignages recueillis, Guillaume Poix a écrit plusieurs scènes qui ne figurent pas dans le spectacle de Lorraine de Sagazan. Le texte publié comporte donc des inédits. La pièce est organisée en quatre blocs. Le deuxième, « Chambre », est le récit de sept comparutions immédiates, tirées d’histoires vraies, toutes édifiantes. À chacun de ces récits, on se dit que des personnes ne devraient pas être condamnées à de la prison ferme de cette manière-là, sans être vraiment défendues, sans être vraiment écoutées et pour des délits où il n’y a aucun blessé à déplorer, comme le fait de rouler pendant 200 mètres sur une moto, sans casque et sans permis, juste pour le plaisir d’essayer la Yamaha toute neuve d’un ami. La justice devient ici une machine implacable à broyer l’humain. Guillaume Poix raconte le travail effectué sur la langue pour établir ce rapport de domination : une langue d’experts, verbeuse, celle de la justice, contre une langue à vif, émotive, chaotique et hésitante, celle des prévenus.
La pièce se clôt sous une forme d’utopie, imaginant une autre manière de gérer les conflits, avec une séquence de pure fiction dans une confrontation accusée-victime qui prend le temps de l’écoute, pour que la parole puisse se formuler autour des violences subies ou provoquées afin de trouver une voie de l’apaisement dont le monde aurait tellement besoin !

Laurence Cazaux

Léviathan (matériau), de Guillaume Poix
Éditions Théâtrales, 144 pages, 18

Sortir de la peine Par Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°259 , janvier 2025.
LMDA papier n°259
7,30  / 8,30  (hors France)
LMDA PDF n°259
4,50