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Égarés, oubliés Fille du silence

juin 2024 | Le Matricule des Anges n°254 | par Éric Dussert

Née à Pau en 1913, Yvonne Escoula était une romancière subtile à la phrase travaillée. Aura-t-on encore le temps de la lire ?

Sitôt publié le deuxième ouvrage d’Yvonne Escoula, Promenade des promesses (Gallimard, 1948), un livre de souvenirs de l’Espagne d’avant Franco, l’Académie française lui décerne le prix Montyon. C’est une forme de reconnaissance désormais galvaudée, mais, au sortir de la guerre, c’est une marque indéniable de qualité. D’autant que la Seconde Guerre mondiale a fait sauter des verrous esthétiques. La littérature s’est libérée de carcans, et, notamment, d’un psychologisme qui a fait recette au début du siècle. Sans attendre les mâles de l’aventure littéraire d’alors, Yvonne Escoula avança énergiquement, et brillamment, et cela se voit lorsqu’on se penche sur la dizaine de titres qu’elle a publiés entre 1947 et 1980. Son premier livre, Poursuite de vent (Gallimard, 1947) était déjà remarquable. Ce vent, c’était celui qui souffle sur Ventourlère, une villa qu’elle a achetée dans le Béarn où elle a grandi, fille, dans le venteux Hameau de Pau. (Elle s’y ressource dès que possible et, fait notable, y fait retourner les personnages au terme de leurs aventures, dans la Promenade et son livre suivant, L’Apatride, Gallimard, 1951). La Poursuite de vent, c’est le récit de sa jeunesse. Les Lettres françaises en le chroniquant ne tarissent pas d’éloges : « Il suffit qu’une femme intelligente raconte son enfance et sa jeunesse pour écrire un livre intéressant. » Et si elle est une « femme ardente », elle est aussi celle qui écrit des livres, on le note déjà, que l’on lit pour sa phrase plus que pour la construction de ses récits. N’en connaît-on pas d’autres qui nous piègent avec le même miel ? « L’atmosphère des Basses-Pyrénées est évoquée et rendue avec complaisance, amour et malice, et permet de suivre, sans trop d’impatience, les méandres d’un récit un peu lent et d’une intrigue qui semble superposée, qui n’ajoute rien à la séduction du livre. »
Pascal Pia lui-même tombera sous le charme de sa littérature en 1958, au moment de la parution de Tulipan (Gallimard). Après un moment d’hésitation à la lecture de la mention « livres pour enfants » dans la liste des ouvrages du même auteur. Pia n’est pas franchement adepte des berquinades. « Ce n’est pas que je sois un farouche adversaire d’Anaïs Ségalas et de Zénaïde Fleuriot, mais j’aime mieux ne pas à avoir à m’abreuver de leurs sirops. Or, ma méfiance à l’égard de Tulipan s’est dissipée assez vite. À vrai dire, l’histoire qu’y raconte Mme Escoula ne laisse pas de participer du conte de fées, mais du conte de fées pour adultes » (Carrefour, 26 novembre 1958) Amateur de chiens, notamment du fameux Boum de François Caradec (Nous deux mon chien, L’Arbre vengeur, 2024) auquel il emprunta un « Ouarf » célèbre, il aurait pu aussi apprécier les Mémoires d’un chien (Gallimard, 1960) de la Béarnaise, un livre que l’on a comparé parfois à The Hundred and One Dalmations de Dodie Smith (d’abord titré en français Plus on est de chiens avant d’être mis en image par Walt Disney) : verve et drôlerie. Le spécialiste du livre pour enfants Marc Soriano écrit dans Les Lettres françaises : « Véritable roman picaresque d’une verve étourdissante, qui témoigne d’une expérience aiguë et pleine de sagesse de la vie, des êtres et des choses, et qui (ce qui ne gâte rien) est écrit dans un style d’une qualité et d’une drôlerie assez rare. » On ne saurait mieux résumer l’impression que fait toute l’œuvre d’Yvonne Escoula, qui pourrait être comparée, peut-être, par certains aspects, à Paul Gadenne (la réflexion du rédacteur en cours).
Au-delà de la réception de ses livres pour enfants qui bénéficient de l’accueil accordé au lancement de la « Bibliothèque blanche » de la maison Gallimard en 1953, son plus grand succès, et sa plus grande réussite est sans aucun doute Le Temps infini qu’elle publie en 1968. Un timing probablement peu favorable. Cependant la presse est bonne, terriblement enthousiaste. « Le Temps infini, d’Yvonne Escoula, est le dixième livre d’un écrivain discret et patient, qui semble avoir acquis aujourd’hui une sûreté peu commune tant dans le domaine de l’écriture que dans la conception d’un devenir romanesque. Ce livre, d’un ton austère, et quelquefois bouleversant par cette austérité même, laissera en tout cas sur son lecteur une impression singulière, et, je l’espère, profonde. Singularité remarquable en effet que ce nouvel « emploi du temps » par quoi, dans le roman d’Yvonne Escoula, présent, passé et avenir deviendront temps incommensurable, et durée infinie au cours de laquelle l’existence de chaque personnage ne sera plus que le repère de l’écoulement uniforme de ce temps. Chacun est évoqué, passe, disparaît à la façon d’une ombre sur le fond du décor. Mort et vie de chacun ne sont que le signe d’un destin fatal, commun à tous et qui commande l’oubli. » (André Dalmas, Le Monde, 19 octobre 1968). Dans ce livre qui ne manque pas d’évoquer la situation de Joë Bousquet, un homme gravement malade est alité, soumis à la douleur et à l’angoisse d’une mort qui approche vite. Son esprit, harcelé, tente de se rassembler pour se perpétuer, réunissant les morceaux épars d’une vie, d’une sensibilité qui garde trace des expériences passées. Si le sujet pourrait évoquer Johnny s’en va-t-en guerre de Dalton Trumbo (1939), on est toutefois loin de pouvoir comparer ces deux romans. « Le pays où nous sommes, écrit le narrateur d’Yvonne Escoula, est le pays du silence et les mots doivent se conformer à la règle du pays. Les mots se taisent. Les mots sont impuissants. Il règne ici le grand mutisme d’avant l’orage, quand les oiseaux, pressentant les signes de la turbulence prochaine, cherchent abri dans les arbres et restent sans voix » Yvonne Escoula est décédée le 26 janvier 1987. Aucun de ses livres n’est plus en vente.

Éric Dussert

Fille du silence Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°254 , juin 2024.
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