Annie Le Brun, une autre qualité de l'air
Annie Le Brun en quatre apparitions. Dans la presse, en revue, à la télévision et au cinéma. Celle qui incarne à merveille depuis près de cinquante ans l’électron libre des lettres assume le rôle de repère, en insufflant de la poésie et en carbonisant au feu de sa pensée les médiocrités et lâchetés en vigueur dans les milieux intellectuels et culturels. Elle a rarement varié. Elle n’a jamais perdu de vue ce qu’elle tient pour de la littérature, mais aussi de l’art – le luxe de l’essentiel – et l’horizon que cela ouvre.
La toute première fois que son nom est imprimé, c’est le 18 août 1942 dans les pages de L’Ouest-Éclair. L’état civil de Rennes y signale la venue au monde, le 15 août précédent, de la petite Annie Le Brun, au 6, rue d’Estrée. Elle est la fille de Louis Robert Le Brun (né en 1904), coutelier et orfèvre, propriétaire de la boutique-atelier « Aux ciseaux d’argent », et d’Yvonne Juliette Leblay (née en 1909), professeure d’histoire-géographie en lycée, à l’« école laïque ». Elle a un frère, Alain, de cinq ans son aîné. Dans la ville du Parlement de Bretagne, traditionnelle et catholique, au mitan du siècle dernier, c’est une alliance qui passe pour le mariage de la carpe et du lapin, que le grand amour excuse à peine. Le mélange offre des résultats surprenants : une jeune fille avide de lectures, ferme dans ses principes, bien décidée à ne suivre aucune voie toute tracée, équipée d’un cerveau qui tourne parfaitement. Elle s’ennuie au lycée, non mixte, regrette les temps joyeux des petites classes à l’« école émancipée » (façon Freinet), ne veut pas qu’on l’oriente vers l’hypokhâgne. Elle opte pour les études de lettres après être revenue de sa passion exaltée pour la philosophie (Kant et Hegel). Elle refuse la brillante carrière universitaire qu’on lui promet, mais elle terminera sa thèse sur la notion de « scandale ». Elle ne remettra jamais en cause ce choix.
À l’été 1963, Annie Le Brun a tout juste 21 ans. La guerre d’Algérie est à peine finie. À force de porter sa curiosité sur ceux qui militent autour d’elle (anarchistes, trotskystes…), à force de recopier des pages entières des surréalistes et d’errer sans attaches, elle finit par rencontrer le seul jeune homme qui, à Rennes, a débuté une correspondance avec André Breton. Nadja (la 2e édition revue par son auteur a paru en mai chez Gallimard) vient de lui faire sentir un autre rapport au monde, bouleversant. Son nouvel ami l’embarque, elle et son frère Alain, futur archéologue, pour des vacances avec, au retour, arrêt à Saint-Cirq-Lapopie, chez Breton. Les jeunes gens ont le plaisir de se lier avec lui. Comme elle doit « monter » à Paris, celui-ci l’invite à « lui faire signe » dès qu’elle sera installée. Elle mettra plusieurs mois à se manifester. Comme elle l’exprime si bien, pour elle, le surréalisme apporte « une autre qualité de l’air ». On respire mal, déjà, sous la Ve République qui sent le renfermé. Et La Brèche, la revue lancée par Breton chez l’éditeur...