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Domaine étranger Habiter un pays

janvier 2024 | Le Matricule des Anges n°249 | par Dominique Aussenac

Par un récit autobiographique aussi vivant que documenté sur les habitants d’un causse du Quercy, le poète américain W.S Merwin (1927-2019) démontre qu’on peut être d’ici sans y être né.

Les écrivains américains de la Génération Perdue fêtèrent les lumières du Paris de l’entre-deux-guerres, Hemingway en tête. Beaucoup plus discret, deux fois prix Pulitzer de poésie (1971, 2009), chef de file du renouveau de la poésie nord-américaine d’après-guerre, William Stanley Merwin, dans les années 1950, choisit une autre voie, en s’isolant au milieu du silence, de rocs et de ruines, du côté de Gramat dans le Lot.
« Là-bas il n’y a que des pierres. C’est le causse perdu. » Il en fera « l’autre pôle » de sa vie. L’auteur des Cantos, Ezra Pound, en l’initiant à la lyrique des troubadours l’a guidé jusque-là. Les éditions Fanlac en Périgord noir fêtent leurs quatre-vingts ans. Elles ont publié la majorité des ouvrages de l’Américain autour du terroir. Bergers, issu de la trilogie The Lost Upland, s’intercale entre Foie Gras (sic) et Les Dernières Vendanges de Merle, deux récits dont seul le second a été traduit (2010). Bergers n’est ni un récit de fiction, ni un recueil de poèmes, mais l’illustration par un travail de poète ethnologue, de la définition qui suit : « La poésie est ce qui nous permet d’interpeller cette présence qui surgit devant nous, cette présence parlante, mais le fait est que tout ce qui nous passe par la tête dans ce monde de phénomènes est absence. C’est à la fois le passé et le futur. Peu de choses sont véritablement présentes. C’est elles que nous reconnaissons. La faculté de parler entre nous, tout cela vient du passé, et le passé est constitué d’absence. Notre sentiment à l’égard du monde qui nous entoure est un sentiment d’impuissance à le toucher, à le saisir, à l’exprimer. C’est cela l’absence. La présence est inévitable et en même temps nous ne pouvons l’exprimer, l’empoigner. Et cependant nous ne pouvons nous soustraire à elle.  »
W.S Merwin, en voyant aveuglé, perçoit des apocalypses mais ne peut se résoudre au désespoir, mû par un principe de vie, un combat solaire. Contemporain d’Hiroshima, il est né au Nouveau Monde dans la nostalgie d’un Eden originel européen, un désir de fusion des continents par la culture, et non l’économie et l’industrie, un transhumanisme inversé. En poète lyrique, élégiaque, mais aussi lucide, il place ses pas dans ceux de Dante et de Thoreau. En penseur métis, syncrétisant culture antique, études romanes, pratique du bouddhisme, connaissances de peuples premiers, il jongle avec la présence et l’absence, le ravissement d’être au monde et le désenchantement de sa perte.
Bergers offre ce vacillement, ce satori, le récit du basculement d’une société occitane rurale vers une société capitaliste mondialisée, ivre de vitesse, de déracinement, d’effacement de la mémoire, exploitant aveuglément nature et bientôt cosmos.
Merwin retape une grange au milieu d’un désert. Ce monde ni ses habitants ne lui sont étrangers. Ces bergers sont les descendants des pâtres de Virgile et les derniers représentants d’une civilisation magnifiée par les troubadours en parlent encore la langue. Ce qui ne l’empêche pas de les éreinter, consignant leurs mesquineries, cupidité, rudesse, leurs langues qui peuvent aussi se transformer en peille, chiffons… Untel, paresseux, délaisse sa mère malade, tout en vivant de sa pension. Tel maire instaure un abattoir privé dans sa propre commune. Merwin démontre alors comment le progrès technique en changeant la donne détruit une société, l’acculture. Les abattoirs aspirent un plus grand nombre d’agneaux, nourris industriellement afin d’engraisser plus rapidement. Le transport des agneaux nécessite des véhicules plus grands. D’antiques murs tomberont pour faciliter l’accès…
En homme simple, discret, Merwin témoigne aux caussenards un respect pudique, presque timide, les apprivoise lentement, mot à mot, travaille avec acharnement, cultive les mêmes plantes, participe à leurs fêtes, leurs douleurs. Des petits riens qui font des grands touts, atteignant l’universel sous la plume de l’écrivain. Un de ses voisins finira par lui confier : « C’est vrai. Vous n’êtes pas né ici. Mais vous êtes d’ici. » Pour Merwin, le causse est un lieu d’extases, un dernier paradis. Il le décrit en philologue, en partant de l’occitan dont il calque en anglais les « expressions idiomatiques, ou des tournures syntaxiques » selon la traductrice Françoise Palleau-Papin, ce qui crée une autre langue, exotique aux oreilles anglophones, lumineuse et flamboyante aux nôtres, tel ce final qui offre un brasier, un holocauste. Merwin le contemple en l’attisant. C’est celui de moutons sacrifiés par le progrès. Le crépuscule d’une civilisation ! Un écrit orphique remarquable.

Dominique Aussenac

Bergers
William S. Merwin
Traduit de l’américain par Françoise Palleau-Papin
Fanlac, 162 pages, 22

Habiter un pays Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°249 , janvier 2024.
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