Je t’ai laissé la voiture, je m’en vais, pardon. » Pour Ysa, l’histoire se termine, elle entre dans la nuit. Elle fait le bilan de sa vie et le monde lui apparaît soudain pour ce qu’il est : insupportable. Insupportable sa collègue Dilara, constamment excitée et se mêlant toujours de ce qui ne la regarde pas. Insupportable l’entreprise pour laquelle elle travaille, rachetée par les Américains et dont les managers sont pires que les précédents. Insupportable cette société du travail et de la consommation. Et ce soir, pour ne pas rester seule, elle a invité du monde chez elle ; sa voisine Laurie, elle aussi séparée, lui donne un coup de main. La pièce de Carine Lacroix dresse le bilan d’une vie. Monologue d’une femme chahutée, morcelée, habitante d’une banlieue industrielle et commerciale, hantée par la nuit et par les questions qu’elle lui pose : « Qui es-tu ? / Où vas-tu ? / Que devient le rêve si on ne s’en souvient plus ? » La vie paraissait simple pourtant, avec ses horaires, ses habitudes, les bruits de la ville et les sorties le samedi soir au Pizza Country. Enfant elle aimait l’école, la géographie, les cartes, surtout celle du grand Nord, du pays des Inuits : « Ils parlent avec la nature, ils pensent avec leurs mains, ils pensent avec leurs chiens. » Mais maintenant il n’y a plus que la nuit, et elle n’en sortira pas seule. Un jour, à la cafétéria, elle disjoncte et bombarde l’assistance de frites. Et ce sera le passage par la case hôpital.
C’est un texte d’une grande douceur, d’une grande douleur aussi, porté par une très belle écriture. Carine Lacroix nous emmène au cœur de ce monologue intérieur d’une femme qui ouvre les yeux, voit le monde tel qu’il est et se demande ce qu’elle a fait jusque-là… Pas de plaintes, pas de récriminations, mais un constat. Et l’envie de changer. Finalement, en se retrouvant tous dimanche, « Nos mettrons en commun, en pagaille / Nos récits / Nos blagues / Nos alibis / Tour à tour nous ensoleillerons la nuit. »
PGB
Un fleuve au-dessus de la tête
Carine Lacroix
Quartett, 96 pages, 12 €
Théâtre Un fleuve au-dessus de la tête
novembre 2023 | Le Matricule des Anges n°248
| par
Patrick Gay Bellile
Un livre
Un fleuve au-dessus de la tête
Par
Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°248
, novembre 2023.