On s’est effondré à mi-chemin du livre sans discontinuer, comme souvent sans doute lorsque la tragédie côtoie une puissance lumineuse. Le premier texte de Sabine Garrigues est une forme d’incantation en prose brute, le cheminement d’une mère après la disparition de sa fille. Suzon a été assassinée lors de l’attentat du Bataclan de 2015. De cet événement a priori innommable, l’autrice retient la beauté immuable de son visage face à l’horreur et à son esthétisation : « rien perdre de cette image / parce que c’est celle qui va m’aider à vivre (…) le plus beau visage qui soit (…) / qui est tout sauf / le musée de la mort / qui est tout sauf / l’obscurité / qui est tout sauf l’étalage du monde en souffrance / ce visage c’est la vie ». Rien n’est su tisse d’autres liens historiques et familiaux. L’Algérie où son père est né a formé des fantômes qui hantent les dates et les coïncidences : le 12 novembre, lorsqu’elle embrasse sa fille pour la dernière fois au métro Charonne, là où le 8 février 1962, une marche pacifique contre la guerre d’Algérie et les attentats de l’OAS coûte la vie à huit victimes sous la police de Papon. On est bouleversé de découvrir tant de calme et de lucidité jusque dans l’analyse de sa colère et d’envie puissante de vivre : « voilà qu’encore / dans mon immobilité / c’est la vie qui veut jaillir plus que tout ». Dans son Triste tigre, Neige Sinno se demandait comment convertir notre attrait du mal par une fascination pour la douceur, Rien n’est su sème de nouvelles graines.
Flora Moricet
Rien n’est su
Sabine Garrigues
Le Tripode, 128 pages, 13 €
Poésie Rien n’est su
novembre 2023 | Le Matricule des Anges n°248
| par
Flora Moricet
Un livre
Par
Flora Moricet
Le Matricule des Anges n°248
, novembre 2023.