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Poésie L’ire des vents

septembre 2023 | Le Matricule des Anges n°246 | par Emmanuel Laugier

Avec Rives de goudron, le poète Philippe Blanchon poursuit une traversée maritime dont les géographies, éparses, ajoutent au rêve d’une musique, pourtant sans consolation.

Rives de goudron, dixième opus du très discret poète Philippe Blanchon, est un livre labyrinthique, dans lequel les embardées déjouent la narration menée en ses huit fugues. Narrations plurielles d’ailleurs, mais toutes comme éventrées de l’intérieur, ou avalées par la même baleine qui avala Jonas. C’est qu’en ses fugues, dont le sens est autant musical qu’elles signifient aussi la fuite et peut-être l’exil, des voix se donnent, par contrepoint, c’est-à-dire par superposition et décalages ; celles-ci portent les noms de Béatrice, Robin, Brice, Alice, Philippe (une seule fois nommé), elles s’incarnent en des figures plus qu’en des personnages. Elles se croisent, sans que l’on sache ce qui se joue de leur destin, de leurs amours, ni de ce qui dessine nettement leur cap, sinon, peut-être, ce désir inexpugnable de traverser l’Atlantique, de gagner l’Italie ou la terre anglaise. De se risquer aux vents et à leurs ires. Mais à quelle fin, et selon quel dessein ?
Les livres de Blanchon, depuis La Nuit jetée (Comp’Act, 2005) jusqu’au Variations de Jan (La Barque, 2018) ou Fortune (La Lettre volée, 2022) ne le disent pas, puisqu’ils relancent chacun, à chaque fois, le voyage d’un d’Ulysse multiplié. Seules des bribes de causes, de raisons, à quoi des effets tournoyés de faits, de sensations, de pays et de ciels s’ajoutent, donnent le sens à cette tourne. L’incipit du « Prélude » lance l’alerte : « Un voile sur la mer sur le mont/la flèche d’un cyprès tranchée par la ligne d’un toit.//Imaginez le conflit entre le double et moi –/Nouvelle géographie Italie nouvelle ou Odessa./Nous minutons pauvres diables notre fortune depuis les émeutes  ». Que suit ce « Voilà de quoi vous égarer dès l’entrée  ». Tous les départs sont ouverts, la fête de nuit et la musique, que joue chacun, s’entendent à travers des bosquets. Le « vert paradis des amours enfantines » du « Moesta et Errabunda » baudelairien colore la syntaxe et le vocable ouvragé de ces Rives de goudron que l’on ne quitte que pour rêver d’une « guirlande devenant sarabande ». Mais les « cuivres/et les bois résonnent sur les rails », peut-être « l’écho des esprits de la lande » est-il infesté ici de funestes destins, de ceux qu’un Roi Lear conduira jusqu’à la folie ? On ne saurait l’affirmer sans détour, cependant que d’autres pistes s’ouvrent encore, à chaque fugue sa dérivation, et à leur quête leur énigme.
Rives de goudron, comme l’oracle de Delphes donc, ni « ne cache, ni ne montre, mais fait signe » (Héraclite). L’art de l’entre-tissage, des lieux, des paroles, d’auteurs (de Dante à des citations cachées venues semble-t-il du A de Charles Zukofsky, dont Blanchon est entre autres le traducteur), comme le cubisme le fut pour toute une modernité américaine, travaille nettement aux caches ou aux écrans derrière lesquels les voix surgissent, toutes logées en une structure de quatorze vers formant des quasi-sonnets. Que l’un ou l’une disent travailler comme « un cheval de trait » (Zukofsky), que Bach rencontre Spinoza (« Et le musicien prend possession/en dépossédé du verre qu’il polit à mesure  »), c’est toujours pour mieux faire écho à cette « scie circulaire du théoricien/qui n’a comme asile qu’une chambre et la coupure  », et par laquelle on reconnaîtra le travail du poète syncopant sa phrase. L’effet de maniérisme chez Blanchon, indéniable, en son sens le plus fort, modèle ses vers, il rend quasi inactuel (car rien ne s’y date) ce qu’il véhicule sur sa barque, du continent à l’île qu’un certain Robin, à un mot près, appelle de ses vœux. Toutes voix à travers lui entendent « les navettes filer vers la presqu’île  », et se suspendent aux leçons d’un tel voyage. C’est ce que semble signifier Rives de goudron, qui devient alors une fable discrète. Les « glissements contrapuntiques », qu’évoque l’éditeur, suggèrent alors la combinaison harmonique, la superposition de mélodies, d’accords, que les récurrences, que les accents, les allitérations rendent plus palpables encore dans les poèmes. Mais la force de ces combinaisons vient ici de ce qu’elles s’incarnent, de même que « l’ordre sur lequel/reposent les règles musicales est du même ordre/que celui qui dispose étoiles au ciel et plumes/des anges des mésanges  ». Et en permettent l’envol ou la plongée.

Emmanuel Laugier

Rives de goudron. Fugues
Philippe Blanchon
L’Extrême contemporain, 111 pages, 16

L’ire des vents Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°246 , septembre 2023.
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