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Traduction Mélanie Fusaro

mai 2023 | Le Matricule des Anges n°243

Une tristesse infinie, d’Antônio Xerxenesky*

Une tristesse infinie

Pour lire – et qui plus est, traduire – Une tristesse infinie, il s’agit d’avoir le cœur bien accroché – non pas que le texte présente un fort taux d’hémoglobine, le médecin protagoniste de l’histoire a justement choisi de se spécialiser en psychiatrie parce qu’il a le sang et les viscères en horreur. Mais, comme le titre l’annonce sans ambiguïté, ce sont les tréfonds de l’âme humaine qu’il devra disséquer, car une mélancolie profonde traverse le dernier roman d’Antônio Xerxenesky. Et la construction narrative est telle que le lecteur, à l’instar du docteur Nicolas, risque fort de se laisser contaminer par les idées noires de ses patients.
Mais résumer Une tristesse infinie à un roman déprimant serait outrageusement réducteur. Il n’est d’ailleurs pas aisé de définir ce livre si atypique dans le paysage littéraire contemporain, car il ne s’y passe pas grand-chose. Peu d’actions, peu d’événements ; plusieurs situations qui se répètent, avec des changements subtils : le rythme est lent, comme si Xerxenesky, qui s’est inspiré pour ce roman de sa résidence à la fondation Jan Michalski à Montricher, dans le canton de Vaud, s’était mis à l’heure suisse pour l’écrire.
Ça tombait bien : j’habite un petit village dans une vallée de la Haute-Savoie, et de mon bureau j’entends les cloches des vaches, j’aperçois les cimes enneigées des montagnes, et ma consommation de fromage dépasse la moyenne nationale – exactement comme dans le roman. Par la force du hasard et des circonstances, mon lieu de vie a constitué un élément important pour la traduction de ce livre : je n’avais qu’à ouvrir ma fenêtre pour sentir l’air des Alpes.
Mais de la Suisse Xerxenesky ne s’est pas limité au folklore, il a tiré un questionnement complexe sur la neutralité en période de guerre, sur la loyauté et la trahison, le courage et la lâcheté. Les conflits entre humanisme et politique ne sont pas sans renvoyer subtilement à notre propre époque et, d’après Xerxenesky lui-même, à la situation du Brésil sous la présidence de Jair Bolsonaro, dépeinte entre les lignes. Le choix non anodin de situer l’intrigue en Suisse juste après la Seconde Guerre mondiale lui a permis ainsi de déplacer certaines problématiques dans l’espace et dans le temps, mais son récit fait écho à notre contemporanéité en même temps qu’il rouvre des blessures de notre Histoire.
En effet, si en filigrane Xerxenesky dénonce le Brésil d’aujourd’hui, son regard d’écrivain brésilien n’en est pas moins lucide et critique sur la France de Vichy et l’Europe au milieu du XXe siècle – périodes historiques qu’il aborde en revanche frontalement, soucieux de bousculer sans le heurter le lecteur français sur des sujets aussi épineux. Il a fallu veiller à ne pas commettre de contresens historique, vérifier les dates, les événements, les termes médicaux et scientifiques employés, les mets et boissons consommés par les personnages, et même leurs prénoms, lisser les clichés pour que le récit résulte le plus fiable et crédible possible – sans pour autant renoncer aux pointes d’humour sur les Français et leurs petites manies, comme Xerxenesky s’y adonnait déjà dans F.
Ce n’est d’ailleurs pas la seule ligne de continuité avec ses romans précédents : car si ce livre apparaît clairement moins délirant et explosif que les précédents Avaler du sable ou F, l’on y retrouve des thématiques déjà explorées qui tracent un sillon de plus en plus profond au fur et à mesure que Xerxenesky avance dans son œuvre.
Une tristesse infinie donne le ton, dès le titre, de la désillusion, des remords, de la résignation. C’est aussi, de ses quatre romans, le plus ouvertement autobiographique – le plus érudit aussi, sans cette fois les références à la contre-culture qui pouvaient contrebalancer le poids des réflexions philosophiques sur l’art, la religion, la science… Les interrogations sur la judéité, sur la guérison par l’art, sur les conflits entre raison et croyances, entre raison et folie, déjà présentes dans Malgré tout la nuit tombe, reviennent dans ce nouveau roman. Et, de même qu’Alina sombre peu à peu dans la folie, Nicolas s’enfonce progressivement dans la mélancolie : pour lui aussi, pris parfois d’hallucinations, les frontières entre le réel et le phantasme s’estompent progressivement. C’est tout l’art de Xerxenesky d’opérer cette bascule avec subtilité, par un glissement inaperçu, grâce à une langue en apparence si simple, et si puissante en réalité : en quelques mots à peine, il crée une émotion, une image. On se croirait au cinéma, mais tout le film se déroule dans notre tête, avec sa bande-son, choisie par Xerxenesky lui-même, à la demande des éditions Asphalte qui accompagnent tous leurs romans d’une playlist. J’ai écouté celle-ci en boucle pendant la traduction et les sonorités – douces mélodies en mode mineur, piano solitaire, dissonances grinçantes, tempo accelerando – me plongeaient immédiatement dans l’atmosphère du livre.
Une tristesse infinie s’impose comme le roman d’un auteur prometteur arrivé à sa pleine maturité. Ayant eu la chance de traduire chacun de ses livres, j’ai aussi eu l’impression de grandir en tant que traductrice à ses côtés. Cette fois, mes contraintes d’emploi du temps m’ont offert la possibilité d’une immersion totale dans le texte. Mes pensées ont fini par ressembler à des phrases de Xerxenesky, et mon humeur a pris la teinte de celle des personnages – un vague à l’âme indéfinissable. Après cette traduction intense s’est ensuivi un riche dialogue avec les éditrices Estelle Durand et Claire Duvivier, à l’affût de la moindre incohérence, attentives à la virgule près ; et avec Xerxenesky, toujours disponible, sincèrement intéressé par notre chantier éditorial et suffisamment avancé dans la maîtrise du français pour en saisir les subtilités. La version finale est en fin de compte une œuvre à huit mains et je suis infiniment reconnaissante envers mes adjuvants, sans lesquels cette traduction n’aurait jamais atteint la qualité qui lui a permis d’être publiée.

* Une tristesse infinie paraît aux éditions Asphalte (272 p., 22 )

Mélanie Fusaro
Le Matricule des Anges n°243 , mai 2023.
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