Il était enfant en 1969, quand Apollo 11 s’est posé sur la Lune. Avec ses parents, il a écouté le compte-rendu à la radio, puis a vu les images du retour sur Terre. Il en a gardé un souvenir pas du tout ébloui. « Du cœur de ces machines, on extrayait des hommes à l’allure de lourds et maladroits bibendums, agitant une main face aux caméras et s’obligeant à un sourire forcé. » Georges Peignard n’est pas précisément fasciné par les machines, la haute technologie. En revanche, il est capable de parler avec tendresse d’une hache, trouvé dans une brocante, de s’émerveiller devant la longueur de son cou. Il s’informe, apprend que celle-ci est une hache à équarrir, « aussi appelée hache à blanchir, utilisée pour ôter l’écorce des arbres abattus au sol ». Il découvre comment s’en servir. Ou, plus exactement, laisse l’objet le lui enseigner. « Cet outil, inerte en apparence, contenait en lui tout un savoir et une chorégraphie, que seuls les gestes du faire pouvaient ranimer. »
Il n’y en a pas des caisses, des écrivains qui pénètrent comme lui dans la substance. Pour Georges Peignard, c’est même une entrée en matière – dans les deux sens du terme. Avant ce livre, il n’avait jamais écrit, en tout cas jamais publié de textes. Il est sculpteur, dessinateur, il fabrique des marionnettes et effectue des interventions artistiques bizarres. Il est prof, aussi, à l’École européenne supérieure d’art de Bretagne. Mais, écrivain, c’est la première fois.
Son Magdalène est composé de brefs chapitres, deux pages maximum, souvent moins. L’air de ne pas y toucher : les titres sont en italique et entre parenthèses, légers comme l’effleurement d’une plume d’ange, je ne fais que passer, je ne vous dis rien de pesant. Impossible de ne pas évoquer sa collaboration dessinée avec un renard, qu’il raconte dans un de ces chapitres. Il sculpte différents matériaux. Dont de grands os de bovins, récupérés chez les bouchers du coin, avec souvent des bouts de viande restés accrochés. Il les nettoie dehors, toujours au même endroit. Et se rend compte que, chaque nuit, un animal vient visiter ce petit atelier improvisé et son festin de lambeaux animaux. Il décide de lui tendre, au sol, un piège de… fusain, « une large feuille de papier totalement noircie de cet outil charbonneux ». L’artiste identifie les traces, le lendemain : c’est un renard. Commence alors leur complicité. Le soir, il dépose au sol de grands dessins. Ils deviennent des « images dessinées dialoguant avec ce partenaire qui, par sa façon de traverser ici ou là, de se coucher, marquait, effaçait, modifiait, complétait mes représentations. » Jusqu’à ce retour, à la nuit tombée, quand il aperçoit dans les phares de sa voiture le renard, assis devant la porte de son atelier, « attendant mes réalisations du jour ».
Georges Peignard ne fait pas la leçon, il ne dit pas que c’était mieux avant, ou qu’il faudrait se passer de tel objet de communication immédiate. Il raconte le passé aussi simplement que le présent ou l’intemporel. Quelques lignes sur l’arbre, une méditation toute simple : « Le hasard lui impose d’exister en un ici définitif, il n’en partira plus, il ne sait pas fuir (…) le vent le désarticule, la tempête le couche, le bûcheron le fragmente, le feu le consume. » Quelques mots sur les couvertures qui grattent, abandonnées par l’occupant allemand, dans l’école où ses grands-parents étaient instituteurs durant la Deuxième Guerre mondiale. Ou ce rapprochement entre son travail de peintre et celui des laboureurs : « Je dépose à la surface du papier une encre grasse et brune, couleur de terre. (…) Une fine lame de cutter, à l’extrémité en biseau, à l’image d’un soc de charrue, me permet d’ouvrir mes sillons dessinés. »
Le lire apporte sérénité et hauteur de vue. Et ce plaisir enfantin de voir l’enjoué dans le trivial, comme cette évocation du vidangeur qui venait dans la maison familiale pomper la fosse septique. « Les tuyaux s’animaient, louvoyaient en ondulations lentes sur le sol comme agités de spasmes, un flux sourd les traversait et avivait toute la maison d’une énergie joyeuse, insoupçonnée, qui jaillissait du tombeau. » Irrésistible.
Anne Kiesel
Magdalène
Georges Peignard
Le Tripode, 220 pages, 19 €
Domaine français Les effleurements de Georges Peignard
mars 2023 | Le Matricule des Anges n°241
| par
Anne Kiesel
Les mains dans la matière, l’esprit léger. Il est sculpteur et peintre, et quand il commence à écrire, il le fait comme personne.
Un livre
Les effleurements de Georges Peignard
Par
Anne Kiesel
Le Matricule des Anges n°241
, mars 2023.