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Domaine français Ce qu’entendent les aveugles

octobre 2022 | Le Matricule des Anges n°237 | par Jérôme Delclos

Deux romans de Luc Blanvillain pour une double allégorie du pouvoir et des limites du langage.

« Je suis audiodescriptive », confie Chloé à sa « thérapeute sympa » dans Pas de souci. L’« audiodescription », qui permet aux non-voyants de comprendre un film en suivant à l’oreille son synopsis détaillé, c’est le métier de Chloé dans l’industrie du cinéma. Mais aussi sa pathologie. Une déformation professionnelle ? Ou peut-être l’inverse : elle avait des prédispositions pour le job. Et par exemple le matin, quand elle voit entrer dans la boîte sa collègue Ludivine : « Ludivine traverse l’open space. Elle distribue à droite et à gauche sourires et hochements de tête », etc. Chloé, au lieu de vivre sa vie, n’en retient que son audiodescription en voix off. Ça remplace mal : à se remémorer son enfance heureuse et sans ombre, ce récit de son passé ne peut, selon elle, être le bon. Trop plat, sans « aspérités », dit-elle. Par chance, la thérapeute lui souffle avec aplomb à propos de ses parents aimants et transparents : « Ils vous cachent quelque chose ». Chloé qui s’ennuyait dans son bonheur s’empresse de les harceler, et eux vont en secret pour la satisfaire inventer « la légende » d’un traumatisme, très refoulé comme il se doit. De façon cocasse mais bien noire, cette fiction prendra corps, à l’insu de Chloé qui croit tourner le « docu-fiction » d’elle-même. Une sorte de prophétie auto-réalisatrice commence alors à s’accomplir, surgie d’un passé plus nocturne qu’on pourrait le croire, et qui au fur et à mesure de la narration rend le présent de plus en plus trouble et instable, jusqu’à la catastrophe finale.
Dans Le Répondeur – roman antérieur de deux années à Pas de souci qui reparaît en poche – le ressort de l’intrigue était déjà la cécité. À chaque fois qu’une connaissance, et même un intime, nous passe un coup de fil, nous accordons aveuglément foi à sa voix. C’est justement cette cécité-là, cette absolue crédulité, qui permet à « Pierre Chozène », un écrivain qui déteste parler au téléphone et n’en a pas le temps, d’engager un imitateur. « Un imitateur, une doublure, un prête voix, un fantôme, un larbin sonore, un serveur vocal.  » Pour, à sa place, répondre à son père, sa fille, son fils, son éditeur, son ex-femme, sa maîtresse. « Le répondeur », artiste de music-hall, y réussit d’abord strictement dans le respect de la « bible » fournie par l’original, une somme de fiches sur ses interlocuteurs et les relations qu’il entretient avec eux. Puis le double se prend au jeu, se risquant à de petits puis gros écarts avec la commande. C’est aussi qu’il se perfectionne, se découvrira même capable de prouesses telles qu’« (…) une tirade des Mains sales interprétée par Jean-Pierre Bacri », alors que piètre contrefacteur au début du livre, « Il avait encore massacré François Hollande ». S’ensuit une cascade de malentendus c’est le cas de le dire, de quiproquos, et de belles occasions pour l’usurpateur de tirer la couverture à lui… avant que toute l’affaire ne s’y emmêle à souhait.
Évidemment, la lectrice, le lecteur, riront beaucoup. C’est un rire qui, omniprésent, n’a pourtant rien de gratuit. Professeur de lettres dans le civil, l’auteur pose de façon vertigineuse dans ces deux romans la question du texte qui écrit notre vie quand nous pouvons croire la rédiger – pas très loin de la diriger. La claire vision d’un sens venant toujours à nous manquer, nous ne pouvons au mieux qu’« audiodécrire » notre existence : un script qui l’ordonne, la soustrait au chaos. Peut-être Le Répondeur impressionne-t-il plus, par sa virtuosité, que Pas de souci. Mais c’est aussi que le premier nous rassure, parce que l’imitateur y réussit plutôt bien ses coups, et nous fascine par son talent pour pousser à son comble le langage dans ce qu’il a de plus performatif. Pas de souci révèle en Blanvillain un écrivain déjà plus grave, en démiurge qui anime ses personnages qui succomberont à ce qui s’écrit d’eux malgré eux, qui toujours les gouverne.
À un moment, la mère de Chloé se demande : « Si on cachait vraiment quelque chose ? ». À quoi le père, interloqué, répond « (…) on ne peut pas cacher quelque chose malgré soi ». Elle insiste : « En es-tu sûr ? (…) J’ai bien compris, et je te demande si tu en es sûr ». Lui en reste bouche bée, comprenant peut-être, en un instant, à quel point la vérité vraie reste toujours cachée.

Jérôme Delclos

Luc Blanvillain
Pas de souci
369 pages, 22
et Le Répondeur
283 pages, 9
tous deux chez Quidam

Ce qu’entendent les aveugles Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°237 , octobre 2022.
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