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Domaine français La conduite et l’obstacle

octobre 2022 | Le Matricule des Anges n°237 | par Jérôme Delclos

Un accident de la route et tout bascule. Yves Ravey distille le malaise et nous bouscule à bas bruit

Une carcasse pillée dans L’Épave, un accident suspect dans Bambi Bar et Pas dupe, le véhicule Ford d’Enlèvement avec rançon, le « coupé sport rouge » de maître Montussaint dans Un notaire peu ordinaire  : il y a souvent une automobile dans les histoires d’Yves Ravey. Un personnage récurrent, comme l’annonce du fatum qui frappera le « je » qui parle dans ces romans à la première personne. Dans le dossier que la revue Décapage lui a consacré en 2021, Ravey se confiant sur son travail d’écrivain y réfléchit à ceci que « (…) dire comment on écrit, c’est dire comment ça démarre ». Ici, dans Taormine, ça démarre sur les chapeaux de roues. « Sorti de l’aéroport de Catane-Fontanarossa, j’ai engagé la voiture de louage dans le premier rond-point vers le nord, direction Taormine » Si la voiture est de location, c’est que le narrateur, Melvil Hammett (double hommage, à Herman et à Dashiell), fait du tourisme avec sa femme Luisa : un voyage en Sicile à son initiative à lui, ultime tentative pour sauver son couple. Dès les premières pages, nous savons que c’était une fausse bonne idée. Outre que le lecteur-modèle associe Sicile et mafia, les deux touristes, qui du reste ne parlent pas un mot d’italien, se perdent à la première occasion. Et le paysage déçoit. Melvil est agacé, la pression de sa promesse à Luisa : « des vacances réussies ». Ce à quoi elle répond par un haussement d’épaules. « Elle a dit, c’est égal, cette idée de vacances réussies ou non, l’essentiel à mes yeux, vois-tu Melvil, c’est le moment présent. »
Sitôt la page 20, un événement soudain prend Luisa aux mots. Un gros orage a éclaté, la nuit est tombée. Melvil, pour ne pas dévier de son programme, a insisté pour reprendre la route plutôt que d’attendre l’accalmie dans un snack en bordure d’un camp de migrants. Et donc, on the road again. « Puis ce fut le choc. Un coup violent donné contre la carrosserie. (…) j’étais entré en collision avec un obstacle » Panique, Luisa veut faire demi-tour. Melvil s’y refuse, s’irrite : un animal, sans doute. Un chien ? Un simple « obstacle », et qui ne fera pas obstacle aux vacances.
La suite du périple enchaîne des lieux vidés non seulement d’un attrait, mais aussi de quoi que ce soit comme un centre, un ordre qui rassurerait. Une « boutique d’alimentation » mal éclairée, des bretelles d’autoroute, « l’hôtel Via del Mare  » à Taormine, avec piscine mais les toilettes dans le couloir. Une station-service déserte sur la route d’Agrigente, une fois décidé d’écourter le voyage en y prenant un vol. Jean Kaempfer le note bien dans son article « Après la mort des pères » (Critique N° 804, mai 2014) : « Privées de verticalité, les bourgades typiques d’Yves Ravey sont livrées désormais à une violence sans bornes ». La violence viendra vite, d’abord par un journal qui confirme, contre ce que Melvil persiste à espérer en toute mauvaise foi, que « l’obstacle » n’était pas un chien mais un enfant de migrants. Luisa semble alors réaliser le drame, leur responsabilité. « La question est de savoir si tout se résume à un banal accident, comme tu le prétends… Il est mort, mais, peut-être, on aurait pu le sauver. » Il y aura un autre hôtel avec piscine, un garage dont le mécano se frotte les mains devant les perspectives ouvertes par la situation. Puis d’inquiétants et bien ripoux carabiniers.
Au-delà de l’intrigue de polar – un genre que Ravey revendique – la force de Taormine est de nous faire nous interroger sur les sentiments que nous éprouvons pour ses personnages. Melvil n’est-il qu’un salaud, et d’ailleurs qu’est-ce que ça veut dire ? Luisa est-elle si vertueuse, qui à Agrigente, étonnamment, visite des ruines au lieu d’aller à la police comme elle s’y était décidée ? Et cet enfant, dont nous ne savons pas même le prénom ? Qui y pense encore ? Question qui vaut aussi pour nous. L’auteur nous colle le nez à la vitre d’une éthique très actuelle, parce qu’orpheline de toute transcendance. Notre conduite, comment réagit-elle aux « obstacles » ?
Ni heureux ni tragique, le dénouement en trompe-l’œil ne dénoue rien. Plutôt acidifie-t-il un peu plus le sentiment mi-figue, mi-raisin vert, que nous laisse la fin du livre. « L’Écrivain a peur en relisant ce qu’il vient d’écrire », a pu dire Ravey dans « L’Écrivain expulsé du paysage ». Il y a de quoi.

Jérôme Delclos

Taormine
Yves Ravey
Éditions de Minuit, 138 pages, 16

La conduite et l’obstacle Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°237 , octobre 2022.
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