C’est d’abord un étrange livre par l’usage de la ponctuation et de la typographie qui s’y applique. Des textes courts y font comme les dalles du chemin que le lecteur suit. Partant de 1497 à Florence où Savonarole s’apprête à allumer son grand bûcher des vanités, pour arriver à un ultime tombeau d’où coule une « larme creusant sans fin le lit de la terre sans fin creusant le temps ». Aux dalles de texte s’agrègent des citations de poètes, écrivains et philosophes, sur lesquelles la pensée prend appui, rebondit, bifurque. On y entend beaucoup Antonin Artaud et Franck Venaille, des paroles venues de loin comme des voix contemporaines. Ces guides éclairent la descente au royaume des morts que le livre effectue en quatre étapes : « se vêtir des cendres », « retourner les morts », « écrire à creux perdu » et « ramener à la vie ». On ira par le biais d’un film de 1932 dans l’Égypte mythologique, un enfant pétrifié et non-né nous entraînera sous les cendres de Pompéi, le cours du texte rassemblant en son lit souterrain les alluvions de la pensée et de l’analogie. On se laisse entraîner d’autant plus facilement que Claro y déploie une langue aux variations multiples, tantôt fluide et parfois totémique, belle toujours et dotée d’une énergie vitale étonnante : « allons, il est temps de retourner les morts, doucement, en prenant mille précautions, en évitant mille aversions, regarde, leurs habits ne tiennent plus qu’à un fil, tout efflanqués ils titubent, et toi aussi tu trébucheras, toi aussi tu partiras en avant, les mains tendues pour amortir ta chute, tes mains s’enfonceront dans le souvenir de tes mains (…) ». La pensée et l’écriture se nouent si justement qu’on ne saurait les séparer comme si elles formaient le noyau atomique qui va irradier tout le texte, et au-delà du texte, le lecteur lui-même qui voit s’ouvrir, dans les lacets du récit, l’incommensurable énigme de la mort, de la résurrection et du deuil. Et au cœur du livre, en son mitan, comme une épitaphe posée sur la page, Claro cite Dominique Fourcade : « je me dis que quelqu’un qui n’est plus un vivant et, le temps de quelques lignes, pas un mort, ce doit être ça un écrivain. » Écrivain, Claro l’est donc, indubitablement.
Claro, Sous d’autres formes nous reviendrons tient autant de la poésie que de la prose. Comment s’est construite la forme, la structure de ce livre ?
Au départ, j’ai voulu travailler la notion de vanité, au sens humain autant qu’au sens pictural. Je me suis assez vite renseigné sur le fameux « bûcher des vanités » édifié par Savonarole, puis j’ai compris que le livre allait essentiellement parler de l’attitude par rapport à la mort et qu’il me fallait incorporer d’autres figures que celle du défunt, d’où des digressions sur le lithopédion, les corps enfouis de Pompéi, la momie de Karl Freund. Au bout d’un moment, les segments se sont enchaînés, avec néanmoins une partition en quatre volets, un peu comme pour un retable. À cela s’est ajouté, très vite...
Entretiens Claro, un écrivain
juillet 2022 | Le Matricule des Anges n°235
| par
Thierry Guichard
Entre poésie, réflexion et récit, le nouveau livre de Claro regarde la mort en face et interroge la littérature sur sa capacité à nous aider à faire le deuil de nous-mêmes.
Un livre