Toujours à l’affût des belles pièces présentes dans les fonds des éditeurs historiques du groupe Editis, la collection « Vintage » des éditions Belfond réédite un curieux recueil de nouvelles japonaises publié en 1953 chez Julliard : La Saison du soleil de Shintarô Ishihara. De sept ans le cadet de Yukio Mishima, Shintarô Ishihara n’a rien à lui envier en matière de nationalisme et de traditionalisme. Au moment de la publication de ses nouvelles, il n’est alors qu’un impétrant prêt à tout déchirer de son ambitieuse mâchoire. Son recueil ressemble d’ailleurs beaucoup à ces premières tentatives en prose des jeunes gens pressés qui poussent à chaque saison – de la même manière, on a connu à partir des années yéyé, et on connaît encore, en France, lors de chaque « rentrée littéraire » des cas similaires, généralement tout à fait oubliés des lecteurs, et même, c’est notable, des instances de « rattrapage » mémoriel. Ishihara n’est pas un styliste, non plus qu’un grand fictionneur, c’est un garçon né sous une bonne étoile, dans une famille très aisée qui raconte des histoires de jeunes gens aisés nés sous une bonne étoile. Il semble raconter simplement ce qui fait la vie des plus notables voyous de son entourage friqué. Ils sont impulsifs, veulent tout, se servent sans vergogne, victimes imaginaires d’une société cynique dont le plus grand cynisme provient justement de leur classe sociale et tout particulièrement de leur classe d’âge. Un journaliste nomma « la race du soleil » (« Taiyozoku ») cette génération révoltée contre les générations passées qui avaient poussé le Japon dans le désastre. « Inconsciemment nihiliste », nous dit le postfacier des années 1950, Marcel Giuglaris, elle n’aura découvert pour s’affirmer que l’alcool, le jeu, la libido et la violence. Sans surprise, on retrouvera ce cocktail dans le cinéma japonais de décennies suivantes. Et Ishihara s’en explique dans la première nouvelle : « Si le vol est condamnable, il ne constitue pas un acte criminel. Il est probable que, lorsque ces jeunes gens embrasseront des carrières de commerçants ou d’hommes d’affaires, rien ne viendra modifier ce point de vue acquis durant leur jeunesse. Adultes, ils demeureront de jeunes animaux impulsifs, amoraux et ce qui, dans une société normale, est considéré comme vice, restera pour eux complicité, entente rapide avec les gens de leur génération. »
Pour mettre les choses en perspective, il faut noter que Mishima publie son premier roman, Confessions d’un masque, soutenu par Kawabata, en 1948, quatre ans avant les nouvelles de Ishihara. Avec elles, d’un point de vue politique et sociologique, on est loin du chef-d’œuvre de Kenzaburo Oé, « Seventeen » (et sa version intégrale : « Ainsi mourut l’adolescent politisé », Le Faste des morts, 1961). Et si l’on oublie le sujet estudiantin un instant, il n’y a guère de comparaison possible entre les subtilités esthètes de Mishima et les injonctions et directives d’Ishihara. Les trois hommes sont contemporains, deux d’entre eux sont des nationalistes fervents, virilistes, racistes et xénophobes, le troisième prix Nobel… Shintarô Ishihara, qui deviendra réalisateur et gouverneur de Tokyo, est le symptôme éloquent d’une jeunesse de la bourgeoisie japonaise apparemment très bien remise des cruautés de la décennie précédente, tout occupée à vivre sans frein, sans entrave, en tout libéralisme et sans souci du prix à payer. À condition de ne pas perdre la face, tout est permis. La brutalité ou l’ambiguïté du message politique postérieur d’Ishihara – il fit scandale en évoquant les sangokujin (« étrangers ») – se trouve éclairée par La Saison du soleil qui parfois brûle fort. Et pas seulement à Hiroshima.
Éric Dussert
La Saison du soleil
Shintarô Ishihara
Traduit du japonais par Kuni Matsuo
Postface de Marcel Giuglaris
Belfond, 192 pages, 14 €
Domaine étranger Des animaux impulsifs
février 2022 | Le Matricule des Anges n°230
| par
Éric Dussert
Phénomène de la sphère politique nationaliste japonaise, Shintarô Ishihara fut d’abord un jeune nouvelliste plein d’abattage.
Un livre
Des animaux impulsifs
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°230
, février 2022.