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Histoire littéraire Picabia, marginal à jamais

février 2022 | Le Matricule des Anges n°230 | par Richard Blin

Insoumis, il a été comparé à un Christophe Colomb de l’art qui naviguerait sans boussole et n’a jamais obéi qu’au plaisir d’inventer. Bernard Marcadé lui consacre un livre ultradocumenté qui se lit comme un roman.

Francis Picabia, rastaquouère

Il aura vécu pied au plancher et sa peinture comme ses écrits n’auront jamais été que des reflets de sa vie. Une manière de dire oui à la vie, qui se traduisit par le goût du scandale, une soif d’événements, un incessant besoin d’amour, des achats compulsifs – de maisons, de voitures (il en posséda 127), de bateaux. « Je suis païen et immoral, j’ai toujours besoin de plusieurs femmes suspendues à mes lèvres. » Jamais là où on l’attendait, se proclamant « artiste en tout genre » et ennemi de l’esprit de sérieux et de système – « Mon grand désespoir serait justement d’être pris au sérieux » –, il opposa toujours un refus sauvage à s’en tenir à quoi que ce soit. C’est à ce « loustic » qui ne croyait ni au Bien ni au Mal, à ce fou de peinture qui fut aussi poète et créateur de ballets, à cet homme toujours prêt à tout risquer par amour, que l’historien d’art qu’est Bernard Marcadé consacre une biographie.
Né en 1879 à Paris, dans une famille d’origine espagnole qui a fait fortune à Cuba, Francis Picabia commença à manier peinture et pinceau dès 14 ans. Après quelques années d’apprentissage en atelier ponctuées par sa première aventure amoureuse (épris de la maîtresse d’un journaliste célèbre, il l’enlève et part vivre en Suisse où il survivra en vendant des paysages peints sur des galets), il se met à peindre des tableaux impressionnistes à la manière de Pissarro, Sisley, Signac. Ce qui l’intéresse, ce sont les manières de peindre et non le rapport à l’original : une carte postale lui suffit. Il devient un peintre à succès mais, à 29 ans, alors que tout semble lui réussir, il brise sa carrière. Il rêve d’une autre peinture, « vivant d’elle-même hors de toute reproduction objective ». Ce sera l’art abstrait, dont il devient l’un des pionniers, puis sa période cubiste. Parallèlement, il épouse la musicienne Gabrielle Buffet avec qui il aura quatre enfants, et rencontre Duchamp avec qui la complicité est immédiate. Car l’un et l’autre ont compris qu’au-delà de l’art, il en va d’une conception subversive de la vie et du monde.
Considéré comme le leader de l’avant-garde européenne, Picabia fera plusieurs allers-retours entre Paris et New York. Fasciné par ce qu’il découvre, il orchestre ses impressions en improvisant ses tableaux comme un musicien. Et comme l’Amérique est aussi le pays où les machines font partie de la vie, il se les approprie en les érotisant dans des peintures « mécanomorphes » directement inspirées par des schémas ou des épures d’ingénieurs trouvés dans des revues spécialisées. Une frénésie créatrice qu’il paie au prix fort. Opium, alcool, neurasthénie, phobies nerveuses. Traverser un pont le terrifie et il développe une horreur maladive du train. Ne pouvant plus, ponctuellement, peindre, il écrira et créera quatre revues entre 1917 et 1924. À sa mort, sa bibliographie comptera plus de trente titres.
New York, Barcelone, Zurich, Paris, Picabia ne tient pas en place. La révolution Dada lui donne un nouvel élan. Mais temporairement car « il faut être nomade, traverser les idées comme on traverse les pays et les villes, manger des perruches et des oiseaux-mouches, (…), faire l’amour avec des héliotropes et se laver les pieds dans le vermillon ». Une autre femme, Germaine, partage sa vie. « Picabia réussit ce tour de force incroyable, typique de sa personnalité, de vivre avec sa maîtresse chez sa femme », s’amuse Marcadé. Ce sont des années folles marquées par des soirées échevelées, des fâcheries, des provocations. Contre l’intellectualisme et le moralisme surréaliste, il exécute des chromos d’Espagnoles, peint au Ripolin, colle sur ses tableaux des nouilles, des allumettes, des plumes avant d’inaugurer une série de Transparences, aboutissement de ses recherches de simultanéité perceptive. Une intensité Picabia qui se déclinera ensuite sous la forme de Nus au réalisme photographique et au bâclé ostentatoire, avant les minimalistes tableaux des Points de la fin de sa vie.
Picabia n’aura cessé de bafouer la religion de l’art et de faire mourir la peinture pour la ressusciter. Une vaste entreprise de désublimation dont le seul critère esthétique aura été « le plaisir d’inventer » et de donner à voir une peinture dégagée de toute transcendance. « Une peinture Francis Picabia, la plus jolie possible, une peinture imbécile, susceptible de plaire à mon concierge aussi bien qu’à l’homme évolué. » Une œuvre et une vie fondée sur la souveraineté du caprice et un usage absolu de la liberté, y compris celle de déplaire.

Richard Blin

Francis Picabia, rastaquouère
Bernard Marcadé
Flammarion, 700 pages, 35

Picabia, marginal à jamais Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°230 , février 2022.
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