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Domaine étranger Les insoumis d’Ahmet Altan

septembre 2021 | Le Matricule des Anges n°226 | par Thierry Cecille

Voix forte venue d’une Turquie bâillonnée, l’écrivain nous offre un riche roman d’apprentissage, éducation sentimentale et politique cruelle.

Fazil, personnage principal et narrateur, l’avoue lui-même : il est coupable et victime à la fois de son « indécision pathologique ». Tel le Frédéric Moreau de Flaubert, il semble incapable de faire des choix et de s’y tenir, d’autant plus que la ruine de sa famille l’a privé des quelques certitudes que l’aisance financière permettait. Une passion pourtant, dès l’abord, constitue pour lui comme une colonne vertébrale : la littérature. Venu à Istanbul pour poursuivre ses études de lettres, il doit se trouver un emploi qui l’aide à payer sa chambre : il fera partie, certains soirs, du public d’une émission télévisée de variétés. Il y rencontre Madame Hayat, une femme plus âgée dont il s’éprend rapidement. Alors qu’elle se donne à lui dans une tendre complicité, il tombe amoureux de Sila, étudiante elle aussi. Bouleversé, il s’efforce de comprendre ce qui lui arrive…
Ahmet Altan, arrêté en septembre 2016 pour implication présumée dans le putsch manqué contre Erdoğan, a été condamné à perpétuité en janvier 2018 pour « tentative de renverser l’ordre prévu par la Constitution ». Il a été emprisonné durant plus de quatre ans avant d’être libéré en avril 2021 sur ordre de la Cour de cassation, alors que la Cour européenne des droits de l’homme condamnait la Turquie pour sa détention. Nous avions pu naguère partager avec lui, dans ses textes de prison intitulés Je ne reverrai plus le monde (voir Lmda N°206), sa force de résistance et sa lucidité : une écriture parfaitement maîtrisée, parfois teintée d’ironie, lui permettait de lutter contre la solitude et le silence. Le roman que nous pouvons lire aujourd’hui a sans doute été écrit durant cet emprisonnement – et la réussite n’en est alors que plus éclatante. L’éducation sentimentale de Fazil est en effet analysée avec une grande sensibilité, le personnage de Madame Hayat est une création à la fois émouvante et fascinante, les discussions sur les pouvoirs du roman offrent des aperçus judicieux – mais à tout cela s’ajoute surtout, mise en place avec une justesse admirable, la description de la Turquie d’aujourd’hui.
Peu à peu, en parallèle aux émois sentimentaux de Fazil, à sa découverte du désir et du plaisir, les signes sinistres, les avertissements se font plus fréquents. La violence s’immisce et la peur se répand : des hommes pourvus de bâtons tabassent des fêtards alcoolisés ou les participants à l’émission un peu trop déshabillée à leur goût, un colocataire travesti manque d’être assassiné, un camarade qui écrivait pour une revue politique préfère se jeter par la fenêtre quand la police vient l’arrêter, le père de Sila est emprisonné, l’université elle-même n’est plus un refuge. Fazil ouvre les yeux : « C’était comme si j’avais ouvert le couvercle et que la vie réelle sortait de sa boîte, un autre monde, une autre vie. Elle ressemblait à cette chose qu’on appelle « l’enfer » (…). On pouvait s’immoler en pleine rue, mais on n’avait pas le droit de parler de ceux qui s’immolaient ». L’exil apparaît alors comme la seule solution pour ceux qui comprennent que tout avenir leur est refusé. Mais malgré l’urgence Fazil, cette fois encore, hésite : suivra-t-il Sila au Canada ou demeurera-t-il comme emprisonné dans cette Istanbul brumeuse et pluvieuse, subissant une « grande déroute » quand Madame Hayat disparaît de sa vie.
Peut-être cette femme représente-t-elle une sorte d’allégorie – mais sans lourdeur symbolique ou didactique – de ce que pourrait (aurait pu) être la Turquie ? Sa « maturité espiègle » et sa vitalité lui permettent de vivre « l’instant nu », d’échapper à « la gangue du temps ». Elle est la richesse profuse de la liberté, que Fazil n’oubliera jamais : « Elle tenait à la vie par tant de lieux à la fois, elle avait tant de facettes différentes qu’il m’était impossible de saisir qui elle était, et, de toutes ces images contrastées qui s’entrecroisent sans jamais se recouper vraiment, le tourbillon continue de hanter mon esprit ».

Thierry Cecille

Madame Hayat, d’Ahmet Altan
Traduit du turc par Julien Lapeyre
de Cabanes, Actes Sud, 268 pages, 22

Les insoumis d’Ahmet Altan Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°226 , septembre 2021.
LMDA papier n°226
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