Dans les deux pièces de ce recueil, Karin Serres met en jeu des adolescents qui luttent avec les armes de la poésie et de l’imaginaire contre une société normative et destructrice. Nos fenêtres invisibles nous plonge dans une société du futur, une société de surveillance, représentée symboliquement par des voix, celles de la milice et du docteur. La pièce démarre à l’hôpital. Deux jeunes de 16 ans, Otis et Kévina, attendent de se faire reformater. Car dans ce monde, « quand le cerveau a une panne, il faut le faire réparer ». Après avoir subi plusieurs reformatages, ils vont réussir à fomenter une révolte avec tous ceux qui ne veulent pas de cette dictature de la Réalité. Pour laisser à l’imaginaire le droit d’exister. « Nos rêves, nos histoires, toutes les idées bizarres dans nos têtes, il faut nous les raconter. Pour pouvoir nous les redonner dès qu’on se fait effacer ». Et même si la fin de la pièce est un peu abrupte, ce besoin d’histoire vibre de façon essentielle.
Je suis le contrepoids du monde est une ode à la beauté. Lors d’une expédition urbaine dans une usine désaffectée, Jessica rencontre Samir perché sur une chaise au milieu d’une pièce vide. Le plancher de cette pièce est spécial raconte Samir, c’est la peau du monde. Et quand le monde a mal, Samir dit faire contrepoids en créant, avec des milliers d’autres veilleurs, de la beauté : « Il suffit de s’arrêter, n’importe où, pour faire quelque chose de beau. Quelque chose que JE trouve beau. Que j’aime faire. Et le montrer, le partager. Pour apaiser le monde. Pour essayer de l’équilibrer avec de la beauté. Ça m’apaise, moi aussi, à l’intérieur. Ça me donne la force nécessaire pour réfléchir, pour lutter, pour résister. (…) Ma voix compte. La beauté que je crée compte. On en a tous soif, elle peut faire contrepoids. »
Deux fables comme deux odes à une rébellion poétique et politique, naïve et incandescente, un appel à écrire et raconter des histoires nécessaires pour qu’advienne un autre désir du monde.
L. Cazaux
Nos fenêtres invisibles / Je suis le contrepoids du monde,
Karin Serres
Éditions Théâtrales, 96 pages, 14 €
Théâtre Soif d’histoires
mai 2021 | Le Matricule des Anges n°223
| par
Laurence Cazaux
Un livre
Soif d’histoires
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°223
, mai 2021.