Le titre est ambitieux, et le projet ne l’est pas moins. Depuis 2016, Enzo Cormann écrit des petites pièces de trente minutes en trois mouvements et pour trois comédiens. Procédé dont il s’explique dans un texte joint : « Trois est décidément un bon nombre : un nombre asymétrique, bancal, impair, instable, ouvert, un si bon nombre qu’il me paraît possible et raisonnable de n’écrire dorénavant pour le théâtre que sous forme de trios (…). Je sais d’expérience trois acteurs sur un bout de plancher et quelques dizaines de spectateurs tout à fait à même d’examiner le présent et le devenir de l’espèce. » Et voilà le projet : rendre compte, au moyen de ces trios, de la multiplicité des mondes qui nous habitent. Ce premier recueil sous-titré « 1 Les créatures ne veulent pas être des ombres » en comprend 18 et laisse bien sûr imaginer qu’il y aura un 2, puis un 3 et ainsi de suite, tant la virtuosité et l’imaginaire d’Enzo Cormann semblent illimités.
Chaque pièce propose une situation très précise, avec des personnages déjà en action. Pas de temps à perdre, l’auteur va à l’essentiel. Et toujours dans des situations tendues, violentes : interrogatoire policier, dissection d’un cadavre, répétition de théâtre, interview, procès, viol, entretien d’embauche. Avec toujours un rapport de domination. Comme s’il était plus simple de dire lorsqu’il n’y a pas d’échappatoire. Trois personnes sont mises en demeure de parler : de la mort, de l’amour, de la vieillesse, de la liberté et de la contrainte, du pouvoir et de la soumission, toujours dans des rapports de force qui parfois s’inversent et rebasculent. Cormann pousse les situations à l’extrême pour voir ce qu’il en sort. Il passe l’âme humaine au presse-agrumes pour en extirper les pulsions plus ou moins secrètes, plus ou moins avouées. Il n’hésite pas à faire parler les morts et les disparus, à proposer deux versions d’une même scène, à opérer des changements de direction brutaux et surprenants, nous donnant une vision d’un monde mû par les passions et les désirs inassouvis, d’un monde incohérent et imprévisible, un monde dont nous sommes les acteurs et non les spectateurs. Retour au théâtre.
PGB
L’Histoire mondiale de ton âme
Enzo Cormann
Les Solitaires intempestifs, 544 pages, 23 €
Théâtre L’Histoire mondiale de ton âme d’Enzo Cormann
novembre 2020 | Le Matricule des Anges n°218
| par
Patrick Gay Bellile
Un livre
L’Histoire mondiale de ton âme d’Enzo Cormann
Par
Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°218
, novembre 2020.