Dans des « Gammes anachroniques », un entretien avec Robert Maggiori réalisé il y a plus de vingt ans, Georges Didi-Huberman répondait à sa primitive passion des images en rappelant combien les regarder était autant interroger ce qui nous regarde en elles. Cette dynamique, véritable dialectique dont il n’a pas cessé, de livre en livre, de décrire les schèmes, les usages et les productions, les « façons », comme il aime à écrire, est sans aucun doute le site archéologique et le centre aveugle d’où quelque chose, depuis la première ombre décrite ou représentée, vint à se tracer, se déposer sur une paroi ou une écorce. L’énigme de ce qui paraît à fleur de ces surfaces, que l’image y soit picturale, photographique, cinématographique, voire se forme dans le lent travail d’écritures cliniques ou critiques (Charcot, Brecht, Bataille, Pasolini, etc.), Georges Didi-Huberman en scrute les soulèvements. Par quelle puissance critique en effet, comme celle du montage, les images, débordant nos cadres psychiques et leurs inscriptions dans l’Histoire, s’entrecroisent-elles, se répondent-elles, s’appellent-elles en tissant entre elles une cartographie mouvante et aléatoire de survivances ? C’est l’une des questions que l’œuvre de cet historien de l’art, à la fois philosophe et anthropologue des images, construit avec endurance.
Ressouvenances
Depuis Invention de l’hystérie. Charcot et l’iconographie photographique de la Salpêtrière (Macula, 1982) au tout récent Éparses, écrit à partir d’images des Archives Ringelblum (archives clandestines du ghetto de Varsovie) réunies entre 1939 et 1943 par ce groupe au nom de code hébreu Oyneg Shabes (Joie du Shabbat), Didi-Huberman cherche, analyse et compare ce que les images font et actent au-devant de celui qui les perçoit et les emporte dans sa mémoire. Ses hypothèses, après plus de soixante essais, viennent autant de sa fréquentation de la philosophie que du vaste champ des sciences sociales et historiques comme de celles des corpus iconographiques, des écrits sur l’art ou de la psychanalyse. L’image y est dans tous les cas l’indice et le symptôme des façons dont des gestes se sont imaginés, et dans leurs dimensions critiques se sont interposés en des actes de résistances. Les pages de dialogue avec Philippe Roux dans Pour commencer encore suivent cet itinéraire et tentent de dessiner quelle archéologie de la mémoire peut situer cette généalogie passionnée des images. La ville de Saint-Étienne, où Didi-Huberman naît en 1953, est par exemple l’un des lieux emblématiques dont les pages de Sentir le grisou (2014) se souviendront, les gaz rampant sur les pentes des mines « connotant la stratification (généalogique, intime ou politique) d’une certaine expérience de l’Histoire ». Mais Saint-Étienne, vécue comme « hors-je », écrit-il, est aussi ce site hors sol qui paradoxalement occupa sa vie psychique (le grand-père Jonas Huberman y arrive de Varsovie dans les années 20, le père (Didi), peintre,...
Essais Ce qui est tourné vers nous
Un livre de dialogue et un essai de Georges Didi-Huberman sur les images recueillies par un groupe de résistants juifs du ghetto de Varsovie reviennent chacun sur la généalogie possible des prises de parole et des actes, dont les images gardent les traces en les étoilant.