Une passion très concrète de la vie irrigue la poésie de Bénédicte Bonhomme. Ouverte aux jeux du désir et de l’espace, écartelée entre possession et dépossession, nue, et toujours un peu déportée par le possible qui rôde au fond de l’impossible, sa poésie marie la brisure et l’élan, le manque et l’enfance, le déchirement et l’espérance. Un sang y bat, une langue y bat, qui donnent chair à l’être, à la vie dressée contre l’infinité de la perte et de la douleur.
Composé de onze suites dessinant une mosaïque de moments vécus, de choses vues, de paysages méditerranéens, de souvenirs de lieux, ce nouveau recueil rassemble une collection de reliques – les restes de ce qui reste – que chaque poème redéploie en ses figures et ses rythmes. Car si les années ont passé, elles n’ont rien fait passer de l’enfance, de l’amour, des deuils. « Tu achèves le cri pur / Celui qui mène aux larmes / Pour demeurer en vie. » C’est à ces traces laissées en elle par le passé, et transformées par le temps, que Béatrice Bonhomme donne forme et composition. Une manière de le quitter, ce passé, tout en le transmettant et en le conservant, mais condensé et crypté. « C’était en écorchés rouges qu’on affrontait l’amour / Avec cette brûlure au centre des corps et du monde / On donnait tout comme ça / Pour ne pas encore mourir / Pour croire que par paliers l’absolu nous guettait / Pour espérer les larmes et le sang. »
Écrire, ici, c’est habiter des restes, des scènes qui se rejouent au sein d’une mise en voix singulière, dans le frisson de leur propre immanence. Poids est donné à chacun des mots, au rôle des éléments naturels, au rapport qui s’établit entre eux et le corps. De « la première neige sur la Sahara de nos enfances / Celui des dunes frisées de vent recouvertes par le blanc » aux « odeurs de corps lavés pur au citron / Des mandarines de fleurs dans la bouche », en passant par « les rochers nus et l’odeur des plantes sableuses / Chardons jaunes dorés, brûlure du sable », ce n’est que perceptions sensorielles, éclats de couleurs, fragrances et émois associés à des lieux de beauté vivante ou de ruine. « Pourquoi si rouge la maison du cœur et de l’enfance / avec au centre son cercueil amarré / Et les morts entourés de linceul / Dans le froid humide des tombes. »
C’est ce battement entre être et néant qui commande le mouvement de l’écriture, rapporte au temps présent les figures du désenchantement, la coupure avec le réel désiré. « Le visage dans la bouche des forêts / Le matin brandi de fleurs et de sexe / Les mains accueillies dans l’arbre chaud des touffures / On avait au ventre, rivés, la fouaille des entrailles / Et la forge d’un baiser. » Un dialogue entre la vie et la mort qui est aussi celui qui convoque les beautés secrètes de la terre et celles de la langue.
À l’art d’ajointer l’intensité d’un vécu aux secrets d’un lieu, d’une maison, ou d’une carte à jouer, et ce, en les saturant d’être, Béatrice Bonhomme ajoute l’art de suggérer la lutte du fini et de l’infini dans le fini. Car ce que disent, en filigrane, ces poèmes, c’est que ça n’en finit pas de ne pas finir, ces instants, ces fantômes et ces ombres. « On a envie de quelque chose de violent / Comme de faire éclater la nuit. » À défaut, elle rêve de « Trouver ce moment / D’absolu / Où les couleurs veulent se mêler / Pour rejoindre le blanc. (…) Faire l’amour comme on fait le blanc / Faire l’amour comme on fait la neige / Peindre le silence. // Dire ce qui ne peut être dit », mais peut se laisser lire dans ce qui s’écrit à contre-pente de la contrariété et à la lumière de l’infini.
Richard Blin
Les Boxeurs de l’absurde,
de Béatrice Bonhomme
L’Étoile des limites, 192 pages, 19 €
Poésie Chanter sans enchantement
mars 2020 | Le Matricule des Anges n°211
| par
Richard Blin
Avec du vécu, Béatrice Bonhomme crée de la vérité. Une poésie qui rapproche et redonne au monde sa profondeur charnelle.
Un livre
Chanter sans enchantement
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°211
, mars 2020.