De 1989 à 2019, le narrateur de ce voyage au cœur de Paris conte trente ans d’une vie en symbiose avec la Ville Lumière, le lieu de ses espoirs et de ses déceptions. Venu de province, le nouvel arrivant commence par découvrir la cité mythique qu’il aborde par le ciel, comme noyé par toute cette urbanité : « On ne voyait pas la forme des nuages, on ne voyait qu’un aplat de gris, immense, recouvrant toute la voûte céleste qui semblait ici comme écrasée, passée au gris pâle ». Une vision d’artiste qui renvoie vite aux textes incontournables des auteurs qui ont magnifié la capitale : Baudelaire, Balzac, Zola, Hugo viennent aussitôt à l’esprit. Avec finesse et justesse, Julien Thèves s’oriente parfois vers le poème en prose dans un œuvre référentielle où il mêle les descriptions de quartiers emblématiques aux passages biographiques. La déambulation appelle les souvenirs, les noms des rues signent les époques et l’ambiance qui les accompagnent : « Tout Paris est une madeleine proustienne ». Pendant ses années d’étudiant en prépa, le narrateur nourrit une relation fusionnelle avec Paris. « Je n’apprends pas encore la vie des autres par Facebook, il faut qu’on se croise au café. » Il s’étourdit dans le tourbillon des clubs et des soirées. Une vie de couple tente de perdurer, puis s’effiloche. Julien Thèves compare chaque période de l’existence avec celle qui la précède sur l’échelle de la dégénérescence annoncée. Parallèlement, il dresse une histoire de la sexualité, de l’intimité, de l’amitié. Des événements majeurs scandent cette frise chronologique : les années sida, la victoire à la Coupe du monde de foot en 1998, les attentats de 2015, les Gilets jaunes. Paris catalyse l’Histoire. L’auteur lui rend un bel hommage, transcendé par le vécu d’un de ses citoyens d’adoption.
Franck Mannoni
Les Rues bleues, de Julien Thèves
Buchet-Chastel, 192 pages, 16 €
Domaine français Les Rues bleues
février 2020 | Le Matricule des Anges n°210
| par
Franck Mannoni
Un livre
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°210
, février 2020.