Format carré, édition soignée, c’est un épais ouvrage collectif qui fait l’histoire graphique et amoureuse d’un syndicat : l’IWW, à savoir Industrial Workers of the World. Depuis l’épisode inaugural de 1905 (première réunion à Chicago) jusqu’aux soubresauts de ce nouveau millénaire, se parcourt ainsi, selon une variation d’angles et de formes, pot-pourri d’hommages, d’archives et de BD underground, la geste des wobblies, ces hommes et ces femmes au drôle de nom – on s’interroge encore sur son origine –, et aux aspirations très radicales. Ils voulaient rompre avec le syndicalisme de métier et ses négociations séparées ; quand la contestation se trouvait réservée à une élite ouvrière (blanche, masculine, qualifiée), ils entendaient regrouper, fédérer l’ensemble des corps de métier aux USA, voire dans le monde, et ce sans distinction de race, croyance, couleur, sexe : ici on accueille les immigrés (notamment italiens et finlandais, souvent politisés avant leur arrivée en Amérique), et pourquoi pas les femmes, voire les nègres. Et ils prônaient l’action directe, semblant goûter les actes plus que les discours, ou alors les discours sans ménagement. « La classe ouvrière et la classe possédante n’ont rien en commun. », selon la première phrase du préambule à la constitution de l’IWW : à terme il s’agit de récupérer la production, et d’abolir le salariat. Alors les types occupent les usines, alors ils sabotent, alors ils construisent des jungles – campements sauvages, lieux de rencontre à proximité des cours d’eau. Parmi eux sont aussi des vagabonds et des artistes autodidactes, qui nourrissent la culture américaine d’un esprit poétique et spectaculaire : on compte des orateurs de rues, des chansons mémorables (comme I’m too Old to Be a Scab – trop vieux pour être un jaune), des brochures bon marché et leurs bandes dessinées, des cartes postales et des autocollants qui constituent, selon une formule heureuse du volume, autant d’« agitateurs muets » qu’on collait « un peu partout, depuis les palissades des chantiers jusqu’aux murs des urinoirs ». Et puis des affiches évidemment, comme ce fier gaillard qui arbore, confiant, les grandes lettres de son Syndicat.
Mais l’IWW fut défaite. Elle compta jusqu’à 100 000 membres en 1923. Puis ses héros très tourmentés eurent trop à faire : c’est-à-dire s’affronter aux troupes armées, à leurs mitrailleuses et à leurs incendies ; aux matraques des briseurs de grèves, en même temps qu’aux espions, aux autres syndicats, à la concurrence du parti communiste… Les wobblies surpeuplent les prisons, les wobblies sont expulsés, les wobblies semblent s’évanouir du paysage. Que sont-ils devenus ? Aujourd’hui, à en croire wikipedia, 4000 cotisations. Les dernières pages du livre sont à croire que leur esprit voltige toujours, et que les affaires reprennent, au gré par exemple de nouvelles grèves sauvages en 2001. Mais on peut penser aussi que le flamboyant syndicat n’a jamais quitté la scène, et que sa déconfiture même fait l’envers de nos bibliothèques. « Les wobblies n’avaient pu compter que sur eux-mêmes (…). Quand le dernier crâne avait été fendu, la dernière côte brisée, la section locale de Personville n’était plus qu’un pétard sans poudre. » : en ouverture de sa Moisson rouge (1929), Dashiell Hammett prononce l’oraison funèbre de l’IWW. Sur ses décombres, voici venu le temps du roman noir, et de ses figures esseulées.
Gilles Magniont
Wobblies : un siècle d’agitation sociale et culturelle aux États-Unis
Coordonné par Paul Buhle et Nicole Schulman,
traduit de l’anglais par Franck Veyron, Nada éditions, 320 pages, 26 €
Textes & images À nous la victoire ?
mai 2019 | Le Matricule des Anges n°203
| par
Gilles Magniont
Avec Wobblies, des images et des récits pour souffler sur les braises du syndicalisme révolutionnaire yankee.
Un livre
À nous la victoire ?
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°203
, mai 2019.