Faire de la disharmonie une richesse. » C’est en ces termes que Xavier Rosan, 52 ans, définit Le Festin, la revue qu’il dirige depuis trente ans. Axée sur la Nouvelle-Aquitaine, territoire « fait de bric et de broc, en partie oc en partie oïl », cette publication trimestrielle (et ses livres) met en lumière le patrimoine et les richesses artistiques de la région. « C’est une terre de passage », ajoute le Bordelais de naissance diplômé en histoire de l’art. En 2016, Le Festin (14 salariés) ouvre une dépendance. L’Éveilleur démarre sur les chapeaux de roues. Une trentaine de titres en trois ans. Les collections s’enchaînent. Le catalogue s’apparente à un carrefour à sens giratoire : « Reporter », « Aventures », « Point de fuite », « Polar », « Étrange », cette dernière et sombre spécialité étant confiée à David Vincent, autre éditeur bordelais (L’Arbre vengeur).
La disharmonie reste bien une richesse. L’Éveilleur s’attache à rééditer des textes oubliés. Ou planqués au purgatoire. On y lit Jean Cayrol, Henri de Régnier, Ange Bastiani, Louis Chadourne, Jean Forton, Ilarie Voronca, André Suarès, James Oliver Curwood. On découvre des auteurs négligés. Qui se souvient de Louis Roubaud ? et de son périple au pays des fous, Démons & déments. Du pasteur Henry S. Whitehead ? dont La Mort est une araignée patiente réjouissait Lovecraft. Ici, les auteurs vivants sont assez rares. Le roman d’aventures se mêle à l’enquête sociale, le récit de voyage ou d’apprentissage à la nouvelle fantastique. Comme si, derrière ces nouveaux territoires à explorer, se logeaient le frisson, l’insoupçonnable ou la beauté.
Sur quelles envies s’est créé L’Éveilleur ? Est-ce le désir d’élargir les horizons ?
Une collection de littérature existait déjà au Festin : « Les Cahiers de l’éveilleur ». Mais certains titres ne semblaient pas avoir atteint leur potentiel de vente, et méritaient une diffusion nationale, et non régionale. Par exemple L’Homme à L’Hispano, de Pierre Frondaie, best-seller un peu Arts déco des années 20, qui fut adapté au cinéma par Duvivier et Epstein. J’étais frustré. Quand David Vincent a rejoint Le Festin en 2015, on en a reparlé, et il m’a incité à créer une marque. L’Éveilleur s’appuie donc sur un diffuseur national, Harmonia Mundi. Si les premiers titres de L’Éveilleur avaient encore un lien avec la région (Pipe Chien du Béarnais Francis Jammes, Un mort vivait parmi nous de Jean Galmot, né en Dordogne), la modernité de ces textes pouvait intéresser un public plus vaste, autre qu’aquitain.
Tous les livres qu’on fait paraître sont aujourd’hui déterritorialisés. On travaille pour la rentrée prochaine sur un livre de Stevenson, sur une anthologie des premières femmes journalistes, sur la réédition de L’Île magique de William Seabrook dans une traduction plus complète.
Vous citez Jean Galmot. C’était un personnage au destin peu banal. Orpailleur, écrivain, capitaine d’industrie, député, il fut le héros de Rhum de...
Éditeur Les territoires de l’incertain
mai 2019 | Le Matricule des Anges n°203
| par
Philippe Savary
Amateur de curiosités, (ré)éditeur éclectique, L’Éveilleur arpente les versants cachés de la littérature. Un jardin troublant où fleurissent l’imaginaire et l’étrangeté. Évasion garantie.
Un éditeur