Après le décès de sa mère, Brune a été élevée par sa grand-mère Douce et sa grand-tante Gra- nita, toutes deux installées à Paris parmi « la bistocratie auvergnate ». Elle grandit donc entre leur café Le Catulle et leur appartement, qui se situe juste au-dessus. De sa famille, elle ne connaît pas grand-chose, à peine quelques anecdotes que veulent bien laisser échapper ses deux tutrices. Tout son monde se fissure à la mort de Douce, qui emporte avec elle beaucoup de non-dits. « Je ne connaissais pas grand-chose aux vaches mais je n’ignorais pas que dans un troupeau il y en avait toujours une pour se faire remarquer, et c’était ma grand-mère », réalise trop tard la narratrice. Très jeune, Douce a été contrainte de fuir Lacalm, son petit village du nord de l’Aveyron, en compagnie de sa sœur Granita – elle était enceinte. Ce sont les montagnes de là-bas avec lesquelles Brune doit impérativement renouer, pour tenter de comprendre son passé. « Là-haut le paysage vous prenait aux tripes, vous forçait à être un peu mystique. On ne peut pas vivre sur le plateau de l’Aubrac sans religion. »
Son retour à Lacalm pour enterrer sa grand-mère dure bien plus longtemps que prévu. Elle y retrouve sa famille étendue, dont son père Serge, un homme timide et absent. Incapable de toucher à la viande rouge depuis toujours, elle se heurte à ce monde de cultivateurs impitoyables, à ces repas interminables, et à des mystères soigneusement enfouis. Chacun des membres de la famille, avec son tempérament et son histoire, se détache de la fresque collective. « Une fratrie, c’était comme un troupeau de bêtes, il y en avait de plus fragiles que d’autres, certaines supportaient mieux le mauvais temps. » La parole et les tabous se libèrent peu à peu, tandis que le récit passe des « Mises en bouche » aux « Entremets », en passant par les « Hors-d’œuvre » et les « Viandes ». De tels noms de chapitres mettent en appétit, et rendent hommage à la vibrante tradition gastronomique de l’Aubrac, faite de plats en sauce et de copieuses côtes de bœuf. La quête familiale de Brune se transforme bientôt en un retour aux sources, à la nourriture et à la nature.
Émaillé de patois, Alto braco est donc un roman du terroir qui rejoint le quotidien d’une lignée de femmes et d’hommes de la terre. Hymne à la transmission et à la famille, il met en avant des figures féminines à l’âge avancé et au caractère bien trempé, puisque « le plateau de l’Aubrac avait la particularité d’être (…) un pays de femmes, de maîtresses femmes. » Faisant preuve d’une rusticité toute délicate et d’un réalisme romanesque, ce deuxième ouvrage confirme le talent de conteuse de Vanessa Bamberger.
Camille Cloarec
Alto braco, de Vanessa Bamberger
Liana Levi, 240 pages, 19 €
Domaine français Des femmes puissantes
février 2019 | Le Matricule des Anges n°200
| par
Camille Cloarec
Après Principe de suspension, roman social sur un dirigeant d’usine, le nouvel opus de Vanessa Bamberger nous plonge dans l’Aubrac de ses ancêtres.
Un livre
Des femmes puissantes
Par
Camille Cloarec
Le Matricule des Anges n°200
, février 2019.