En 2016, Tropique de la violence avait été un des romans marquants de la rentrée littéraire. Nathacha Appanah nous faisait découvrir un morceau de France lointain, en proie à la violence et aux inégalités, un territoire perdu de notre république : Mayotte. Nous y suivions le destin bouleversé et bouleversant de l’orphelin Moïse. Le succès, mérité, avait été au rendez-vous. Le quotidien La Croix lui proposa alors d’écrire, durant toute l’année 2017, des chroniques. Elle fit ainsi une expérience à laquelle elle ne s’attendait pas : « J’étais loin d’imaginer que cet exercice serait aussi introspectif (…). Chacune de mes chroniques a, en réalité, germé d’un lieu intime, parfois secret ».
C’est en effet le regard personnel, subjectif, que Nathacha Appanah porte sur les différents thèmes ici abordés qui fait la valeur de chacun de ces courts textes. Nous y trouvons également l’écriture à la fois précise et poétique qui caractérisait Tropique de la violence – et une attention aux êtres, quels qu’ils soient, dans l’existence que la société leur impose, dans leur vie matérielle. Il arrive que l’on pense parfois à cet autre recueil de textes dans lesquels Marguerite Duras, elle aussi, écrivant pour des journaux, se penchait sur des faits divers, des existences anonymes, des événements minuscules mais significatifs du quotidien. Si le genre de la chronique, et peut-être le journal auquel elles sont destinées, explique quelques passages obligés – et un peu convenus – à propos des migrants ou de la présence alarmante du Front national au second tour de la présidentielle, c’est quand elle aborde des problématiques qui lui sont plus proches qu’elle parvient mieux à « semer l’empathie » – ce qui constitue pour elle une des tâches privilégiées de la littérature.
Ainsi évoque-t-elle, à l’occasion de la « visite éclair » du Président Macron à Mayotte, « le cimetière des kwassas-kwassas », « frêles esquifs chargés d’être humains » qui tentent d’atteindre l’eldorado du 101e département français mais dont les pompiers, souvent, ne peuvent que rassembler les cadavres… Quand l’ouragan Irma dévaste Saint-Martin et Saint-Barthélemy, elle se souvient de la « culture des cyclones » qu’elle put acquérir auprès de sa grand-mère durant son enfance à l’île Maurice : « La culture du cyclone, c’est la solidarité pendant et après : pour celui qui n’a plus de toit, pour celui qui n’a plus de pain, pour celui qui n’a plus d’essence pour aller travailler. Cette culture, c’était également l’acceptation et la résilience devant cette nature qui donne tout et qui peut tout reprendre, en quelques heures ». Nous retrouvons cette même grand-mère renonçant à parler le telegu, « langue officielle de l’Andhra Pradesh, un État de l’Inde d’où sont originaires ses parents et ses ancêtres » car « elle avait pensé que de cette langue-là, je n’aurais pas besoin » – mais sa petite-fille, devenue adulte, ajoute : « Bien sûr, je n’ai pas “besoin” de cette langue-là aujourd’hui, mais pourquoi, alors, me manque-t-elle un peu ? » Relatant un séjour au Sri Lanka, qu’elle effectua pour un reportage peu après le tsunami, elle rapporte sa rencontre avec un instituteur qui « était un des rares à ne pas être dans le registre de l’émotion débordante, dans la démonstration excessive de la douleur et de la perte ». Il lui montre sa modeste maison dévastée et les livres noyés. Alors qu’elle lui dit que « c’était la chose la plus terrible qui puisse arriver, perdre tous ses livres », il lui rétorque : « Vous n’avez rien compris à ce qui se passe ici ». C’est, elle l’avoue alors, qu’il nous faut faire des efforts réels pour approcher autrui, tenter de le comprendre, que ce n’est pas tâche aisée – et elle interroge : « Avons-nous fini par ressembler à certains de nos politiques : déconnectés du réel, déphasés, à côté du monde ? »
Thierry Cecille
Une année lumière, de Nathacha Appanah
Gallimard, 142 pages, 12 €
Domaine français La vie est là
novembre 2018 | Le Matricule des Anges n°198
| par
Thierry Cecille
Durant l’année 2017, Nathacha Appanah publie des chroniques dans La Croix : elle observe le monde comme elle le voit, comme elle le vit.
Un livre
La vie est là
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°198
, novembre 2018.