Rans l’œuvre de réappropriation de la mémoire des années de guerre civile et du franquisme qui suivit, chaque livre (la source ne semble jamais tarir) fait figure de brique d’un édifice monstrueux aussi gigantesque que tentaculaire. Si la Deuxième République espagnole, arrivée au pouvoir démocratiquement a duré de 1931 à 1939, le régime franquiste, lui, a perduré plus de quarante années. Arrêté pour propagande illégale en 1944, Manuel de la Escalera (1895-1994) a passé vingt-trois ans en prison. Sculpteur, cinéaste, traducteur, né au Mexique de parents espagnols, il commença sa carrière d’écrivain dans les couloirs de la mort. Mourir après le jour des Rois regroupe plusieurs textes écrits en prison de 1944 à 1962. Le récit le plus long est le journal éponyme de cette période entre Nativité et Épiphanie pendant laquelle l’Espagne apostolique et romaine du généralissime Franco n’exécute pas ses condamnés. Le 15 décembre 1944, dans la prison d’Alcalá de Henares, il démarre ainsi son récit : « Cette nuit nous avons enfin dormi entre les murs blanchis du cube que l’on nous réserve pour ultime domicile. De là, dans un petit matin noir d’un jour d’hiver, nous passerons, par la fumée des armes, à une autre géométrie, de terre, cette fois. » En compagnie de dix-huit condamnés, il attend son exécution ou sa grâce. Le récit s’interrompt le 17 janvier du fait d’une surveillance accrue, le texte sera transféré en lieu sûr. Il ne restait alors que quatre prisonniers dont l’auteur. Au-delà du pathétique de la situation, les écrits apparaissent étonnamment frais, presque lumineux. Effet de style ou de réécriture ? Chaque moment dérobé à la mort, à sa pensée, à son angoisse, est exalté avec vigueur, joie. Il est question même de moments de fête entre prisonniers, d’un spectacle préparé pour leurs propres enfants…
Dominique Aussenac
Mourir après le jour des rois de Manuel de la Escalera
Traduit de l’espagnol par Marie-Blanche Requejo Carrió, Christian Bourgois, 208 p., 15 €
Domaine étranger
février 2018 | Le Matricule des Anges n°190
| par
Dominique Aussenac
Un livre
Le Matricule des Anges n°190
, février 2018.