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Domaine étranger L’étoile de Berger

février 2018 | Le Matricule des Anges n°190 | par Camille Decisier

Palabres, Le dernier livre de l’écrivain anglais, décédé en 2017, rassemble un bouquet de pensées autour du langage.

Nous avions rencontré King, le chien ami des SDF, narrateur du roman éponyme, en 1999, et avec lui la réalité toute crue de l’époque, en temps réel. Nous n’avions pas retenu le nom de l’auteur, et pour cause : il n’apparaissait pas sur la couverture – King est le « roman de rue » d’un écrivain public, il nous propulsait vers Mordillat, Declerck, Carver. C’est quelques livres plus tard que l’œuvre et l’homme se révélaient comme un tout indissociable. John Berger, avec son philanthropisme à tendance marxiste, son attention précise à la souffrance (« être spectateur, jour après jour, de la solitude flagrante des autres est probablement plus difficile à supporter que sa propre solitude »), était et continuera d’être véritablement à chaque instant de son écriture. La cohérence de son œuvre, effet d’un engagement politique intact en faveur des plus vulnérables, résulte aussi d’une longue pratique des arts visuels, la peinture en particulier (lire à tout prix Voir le voir, singulier petit assemblage de textes et d’images, qui condense la pensée esthétique de Berger, notamment sa critique de la propagande publicitaire).
Au-delà de la réflexion, chacun de ses ouvrages est un acte. Acte aussi, malgré son titre, ce dernier opus posthume, paru à L’Olivier en même temps que la réédition de De A à X, correspondance entre deux amants dont l’un est emprisonné à perpétuité pour pratiques terroristes – ce pacte d’amour et de résistance n’a rien perdu de son actualité. Palabres est le livre testamentaire de Berger. La réflexion sur la langue, si chère à l’auteur, s’y articule autour d’une dizaine de thèmes, et ses visions viennent s’y loger comme des photographies dans les encoches d’un album. Il y a par exemple ce souvenir de trois hommes qu’il épie dans le métro parisien, un peu par curiosité, un peu forcé par la promiscuité. Sans en saisir le sens, il suit attentivement leur discussion qui devient une chanson dans une langue étrangère, une chanson sans son. Ce n’est qu’en sortant du wagon qu’il réalise que les trois hommes sont sourds et muets. « Au cœur de toute chanson se trouve une distance. La chanson n’est pas distante, mais la distance fait partie de ses composantes, tout comme la présence est l’ingrédient de toute image graphique. C’est une vérité aussi vieille que les chansons et les images. » L’essence d’une chanson ne serait donc pas cérébrale, ni même vocale, mais purement organique : « Si nous accompagnons une chanson, c’est pour nous sentir inclus. » Il y a ce beau passage dans lequel, allongé sur le dos, profitant de cet éphémère « anonymat égalitaire » de la quasi-nudité, Berger contemple le ciel à travers le toit vitré d’une piscine municipale. Il y a le tribut poignant à Chaplin, à Rosa Luxembourg, et cette semaine passée tout entière à dessiner des fleurs, sans intention botanique, mais dans l’urgence de savoir s’il est possible de « lire les formes de la Nature comme des textes ».
À intervalle régulier, on retrouve le constat – qui jalonne la totalité de l’œuvre, et qui motive peut-être le recours à la peinture – de l’impuissance des mots : « Il n’existe aucun mot capable de nommer ou d’expliquer le flot incessant de problèmes, de besoins inassouvis et de frustrations qui sont notre lot quotidien. » Sur cette insuffisance du verbe croît comme un parasite la vacuité du discours public, composé pour l’essentiel de mots, « lesquels, séparés de toute création de langage, demeurent inertes et morts. Ce trafic de mots déjà morts détruit notre mémoire, il l’efface et vient nourrir une implacable complaisance ». D’où un risque d’amnésie civique et historique rendant de plus en plus floue la frontière entre le passé et le futur, marginalisant le sens de l’Histoire, engendrant un sentiment de solitude toxique. Les médias, grâce au narcotisme de leur langue plus quantitative que qualitative ou substantielle, gavée de chiffres et de pourcentages, « fournissent une distraction triviale et immédiate pour remplir un silence qui, s’il n’était pas comblé, pousserait les gens à remettre collectivement en cause le monde injuste dans lequel ils vivent ». Le tumulte hypnotisant des mots vidés de leur sens comme antidote à la révolution… Le discours de John Berger se rapproche parfois (moins l’aspect provocateur) de la pensée situationniste, en dénonçant une société du spectacle qui survit grâce à une succession de chocs dont chacun efface le précédent et interdit, par là-même, tout recul nécessaire à une prise de conscience collective.
Peintre, scénariste, romancier, poète, théoricien de l’art né en Angleterre, Berger est mort l’an dernier en banlieue parisienne, dans une France dont il avait fait sa terre adoptive et qui persiste à le méconnaître. En raison de son inclassabilité ? Laissons-le résoudre le débat : « Si l’on veut faire de moi un écrivain, je n’ai pas d’objection. À mes propres yeux, je ne suis qu’un fils de pute – et vous devinez de quelle pute il s’agit, non ? » Camille Decisier

Palabres, de John Berger
Traduit de l’anglais par Olivier Cohen et Clément Ribes, L’Olivier, 160 pages, 18

L’étoile de Berger Par Camille Decisier
Le Matricule des Anges n°190 , février 2018.
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