L’autobiographie peut avoir la puissance du roman : Jack Black, narrateur doué, nous emporte dans un rythme enlevé qui dévoile sans fard les pléthoriques excès de sa carrière. Orphelin de mère à 10 ans, fils spirituel de Jesse James, travailleur d’abord, voleur bientôt, expert enfin de la « confrérie des yeggs », ce « monde des criminels », Jack, comme le suggère son patronyme, est un « travailleur de la nuit », puis un expert en système carcéral de l’ouest des États-Unis.
Roman picaresque et d’aventure fracassant et trépidant, Personne ne gagne se lit goulûment, comme Jack lui-même le fit avec les romans de Dumas et Dickens à dix cents. Il découvre les enfers des prisonniers, des prostituées, non sans qu’une réelle compassion l’émeuve, envers ces « condamnées à perpétuité par la société ». Le langage des clochards, hobos et autres routards n’a plus de secret pour lui, ni l’alcool, l’opium, les tréfonds de la justice. Il revendique une liberté asociale, une solidarité sans faille avec ses pairs, face à la chasse policière aux vagabonds, mais aussi une irréfragable passion pour le cambriolage de haut vol, au point de subir de terribles années de pénitencier. La morale finale est lapidaire : quinze ans de « taule », rien de gagné ; sauf un beau livre à la Jack London. Jack Black (1872-1932) se refit une conduite suite à la rencontre d’un journaliste. La publication de Personne ne gagne, en 1926, lui permit de devenir conférencier et militant anti-peine de mort. Il laisse un roman d’éducation à la délinquance et au crime, plein de feu et de détresse, une épopée individuelle paradoxale, une plongée dans les bas-fonds de l’Amérique du début du XXe siècle qui vaut son pesant de sociologie et qui fit le bonheur de William Burroughs (qui en est le préfacier) et de la Beat Generation.
Thierry Guinhut
Personne ne gagne, de Jack Black
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jeanne Toulouse et Nicolas Vidalenc,
Monsieur Toussaint Louverture, 480 pages, 11,50 €
Domaine étranger Personne ne gagne
juin 2017 | Le Matricule des Anges n°184
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°184
, juin 2017.