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Domaine français Sous les cendres

juillet 2016 | Le Matricule des Anges n°175 | par Valérie Nigdélian

Entre récit d’enfance et histoire collective, la méditation sensible et politique d’Henri-Alexis Baatsch sur la fin d’une époque.

La Fin de la Société Carbonifère

Ouvrir une fenêtre (…) sur le passé ». Marquer un temps d’arrêt et entreprendre un voyage dans le temps et l’espace du souvenir. Revisiter l’enfance et « secoue(r) (s)a vieille tête » (Chamisso) face à un monde irrémédiablement enfui : La Fin de la Société carbonifère, mémoires de l’écrivain, critique d’art, traducteur et dramaturge Henri-Alexis Baatsch (né en 1948), traverse vingt ans de notre histoire, depuis le début des années 1950 jusqu’à l’aube des années 1970. Une plongée dans les Trente Glorieuses (le furent-elles vraiment ?), ouverte et clôturée par deux balises visuelles tirées de l’album familial : cliché noir et blanc d’un enfant assis, de dos, dans un paysage montagneux et désertique, et, quelque trois cents pages plus loin, celui d’un jeune homme debout, tourné vers les bâtiments de l’usine Renault de l’île Seguin (où son père fut ouvrier spécialisé) – sans oublier ceux (lieux divers, jardins, fête foraine…) qui essaiment par lentes intermittences l’ensemble du texte. Dire la vingtaine d’années qui séparent ces deux clichés, c’est dire son histoire – sa propre histoire, évoquée au travers d’instantanés anecdotiques, de « souvenirs de rien » et de moments clés, d’objets, de lieux, de modes de vie et d’êtres disparus – mais c’est aussi dire l’histoire collective : entrelacé à l’autobiographie, révélé par le souvenir (au sens du procédé chimique de la photographie), c’est bien le portrait d’une époque à jamais révolue que Baatsch trace ici. Celle qu’il appelle la « Société carbonifère », c’est-à-dire celle des « quartiers misérables et industrieux qui se sont formés en Europe avec le règne du charbon », celle d’avant « la grande rénovation générale commencée dans les années 1970 et la véritable refonte et régénération urbaine du pays poursuivie pendant trente années ». Celle d’avant « l’instauration du moderne », ce dogme nouveau qu’imposeront les années 1960.
Retour donc « dans le dédale de la mémoire », pour retrouver derrière la menace de l’oubli les traces de cet autre temps, à peine remis du traumatisme de la Seconde Guerre qu’il doit affronter la brutalité du conflit algérien. Les terrains offerts à l’exploration de l’enfant – « la rue, le café, la maison, les champs, le bureau, l’usine » – permettent de laisser émerger de petits morceaux de vie, fragmentaires et fragiles, douloureux ou légers, par où, sous la chronologie personnelle, reconvoquer toute la vie d’un Paris populaire et modeste ou de sa proche banlieue, de l’allée de Saint-Cloud jusqu’aux Batignolles ou Sèvres : vieillardes fantomatiques recluses dans des maisons décrépites le long de « rues rébarbatives », livreurs de charbon noirs de suie, messes du dimanche et leurs rituels mystérieux, sorties d’usine, rues qui fourmillent, rythmées par la parution des journaux quotidiens. Un temps étroit, figé et patriarcal, marqué par une division nette entre sexes, classes et idéologies. Encore régi par des valeurs supposées immuables, telles que travail, mérite, éducation, morale, humilité. Et néanmoins illuminé par la place fondamentale qu’y occupe la culture, qui seule libère, qui seule élève, qui seule est capable d’ouvrir des brèches, et de véritables perspectives – musique (religieusement écoutée sur la « Tessef » – la TSF), lectures (des romantiques allemands notamment, que Baatsch, arrivé à l’âge adulte, traduira), œuvres d’art, cinéma.
De ce monde tout en noir et gris, soumis au principe d’économie, nous avons néanmoins oublié une chose essentielle : « ce que cette vie collective avait de dur, d’électrique, de vertigineux ». Ce qu’il générait de solidarité, d’énergie vitale. Après le sursaut de Mai 68, « le dernier grand événement collectif vécu au premier degré », cet « ultime rêve de révolution » aussitôt dissipé, tout sera bientôt balayé par l’émergence de la société de consommation, « plus confortable, mais sans vie » – à l’image du quartier pavillonnaire où la famille Baatsch est relogée au début des années 1960. Parce que la vitesse, l’individualisme, la société de l’image – déréalisée – ont définitivement gagné, parce qu’il faut « mesurer (…) qu’un passage éboulé est à jamais perdu », il est d’autant plus nécessaire de ressusciter les vestiges de ce temps passé, enfouis au creux de la mémoire et des livres – « ce temps conservé en papier » : d’affirmer, tout simplement, que « ça a été » (Barthes). Ce qu’accomplit sans nostalgie, mais au prix d’un insondable vertige, dans une langue pleine et somptueuse aux accents parfois pasoliniens, Henri-Alexis Baatsch.
Valérie Nigdélian

La Fin de la Société carbonifère d’Henri-Alexis Baatsch
Seuil, « Fiction & Cie », 366 pages, 20 e

Sous les cendres Par Valérie Nigdélian
Le Matricule des Anges n°175 , juillet 2016.
LMDA PDF n°175
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