Les nouvelles d’Ogawa sont de micro-univers, bien faits pour refléter ses plus vastes romans, mais aussi pour initier son lecteur à un monde fragile.
Fragile est la mère en soins palliatifs dans « La jeune fille à l’ouvrage » : « combien de rêves ferait-elle » avant sa mort ? La brodeuse à l’ouvrage est bénévole auprès des patients, et quoique japonaise, on pense à celle de Vermeer, pour sa patience, son recueillement, son sentiment de liberté. Elle ranime la mémoire de l’enfance du narrateur, de l’enterrement d’un chat, évidente métaphore de la raison de leur rencontre en ce lieu, car l’achèvement de la broderie coïncide avec la mort de la mère. Si une telle nouvelle reste réaliste, d’autres ressortissent du fantastique, voire de l’anti-utopie. Une dame a l’esprit « remplacé par celui d’une princesse inconnue d’un endroit inconnu ». Pourquoi enlève-t-on la « glande ressort » à ceux qui arrivent au « centre d’hébergement » ? Pourquoi les brûle-t-on ? Que devient le temps de chacun ? Un narrateur arrivant dans un lieu familier, ou nouveau, il y a toujours une étrangeté qui l’accueille, le met à l’épreuve, le bouleverse…
Des thématiques récurrentes dans l’œuvre de la romancière japonaise née en 1962 affleurent lorsque deux enfants conversent sur la mort d’un chien pendant un « concours de beauté », lorsqu’une jeune femme compare une girafe autopsiée avec les grues que fabrique une usine. Ou lorsqu’une étudiante doit débarrasser une accumulation de pacotille, anti-muséale, écho inversé d’un de ses plus beaux romans : Le Musée du silence. Avec Yôko Ogawa, les silences sont parlants, l’émotion discrète et d’autant plus prégnante. L’art des images et de la suggestion séduit l’empathie et la poétique du lecteur.
Thierry Guinhut
JEUNE FILLE À L’OUVRAGE
DE YOKO OGAWA
Traduit du japonais par Rose-Marie Makino, Actes Sud, 224 pages, 20 €
Domaine étranger Jeune fille à l’ouvrage
mars 2016 | Le Matricule des Anges n°171
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°171
, mars 2016.