CHANGER D’AIR
DE MARION GUILLOT
Éditions de Minuit, 173 pages, 14 e
La voilà la rentrée des classes : un professeur lève l’ancre. Ayant vu sur le chemin du lycée une femme tomber dans le port, il laisse à son tour son monde, professionnel et familial, tomber. Ce qui ne l’empêchera pas de tourner en rond quelques dizaines de kilomètres plus loin, comme Henri, son nouveau compagnon à branchies, un carassius auratus. Burlesque exquis et très graphique, personnage quadragénaire un rien froid et maniaque (« Avec l’âge, je développe une méfiance de plus en plus prononcée à l’égard de l’imprécision. » – ce qui explique un certain pointillisme dans le lexique du récit, quelques tournures compassées), petite dissection de la solitude moderne entre évier et baignoire (« Je n’avais pas envie d’être avec moi. ») : on se dit d’abord que le premier roman de Marion Guillot est parfait dans son genre, mais qu’après Je m’en vais de Jean Echenoz et La Salle de bain de Jean-Philippe Toussaint, les Éditions de Minuit devraient songer à davantage Changer d’air (le titre est à lui seul un exercice de style). Mais parce qu’elle accélère d’un coup la dynamique souterraine de la tristesse, et parce qu’elle implique soudain le lecteur, une scène tardive de dîner entre ex-amante et demi-amis déploie toute l’énigme du roman et nous saisit. On relit (pour trouver d’où le coup est parti – on échoue, forcément, tout est là depuis le début « J’allais au lycée ; j’avais gardé mes espadrilles et un goût de sable au coin de la bouche. »). On aimerait que l’auteure aille plus loin encore dans la cruauté et la délicatesse, et savoir de quoi elle sera capable dans son prochain récit. L’air de rien.
Chloé Brendlé
Domaine français Changer d’air
septembre 2015 | Le Matricule des Anges n°166
| par
Chloé Brendlé
Un livre
Changer d’air
Par
Chloé Brendlé
Le Matricule des Anges n°166
, septembre 2015.