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Poésie Les sifflements d’Anna

avril 2015 | Le Matricule des Anges n°162 | par Emmanuel Laugier

Trois recueils, dans trois traductions, présentent chacun une coupe dans l’œuvre de celle que Mandelstam appelait « la souple gitane ».

Elégies du Nord (suivi de) Les Secrets du métier

Secrets de fabrication

Le Requiem & autres poèmes choisis

Dans des vers datant de 1913, soit deux ans après que Mandelstam l’a rencontrée, celui-ci écrit, prémonitoire du destin qui allait emporter la plupart des écrivains réfractaires à la mise au pas que le régime imposera : « Se peut-il que la souple gitane / Soit vouée aux tourments de Dante ? » De la guerre civile qui déchire l’ancien empire à la mort de Staline, jusqu’aux années de Guerre froide, Anna Akhmatova endurera l’assassinat de deux de ses maris (dont Goumiliov en 1921), la déportation de son fils Lev, la persécution et la disparition de ses amis (Mandelstam, Pasternak et Tsvétaïeva). La poète répondit elle aussi à l’auteur de la Divine Comédie dans ces Secrets de fabrication (1924-1961) par une « muse » ici désenchevêtrée de son ciel : « Quand j’attends sa venue la nuit, / La vie, il me semble, à un fil / Pend. / Honneur, jeunesse, liberté qu’est-ce donc, / Devant l’hôte chère, sa flûte à la main. // Et elle entre. Ayant rejeté son voile, / Elle pose sur moi son regard. Je / Lui dit : “Est-ce toi qui dictas à Dante / Les pages de l’Enfer ?” Et la réponse : /“Oui” ». De la version que Christian Mouze donne, à la sobriété impeccable, proche d’une inflexion quasi orale de la parole, comme dictée par une voix chantonnant dans le noir face à la peur, Sophie Benech préfère un tour plus lyrique. Le faux classicisme d’Akhmatova, réputée comme Pouchkine intraduisible, est ici peut-être rendu avec une grande fidélité à la langue française : ainsi la muse « rejetant ses voiles, / Longuement (elle) m’a dévisagée », « la chère visiteuse avec sa flûte ».
Tout grand livre, a fortiori toute grande œuvre, appelle ces écarts de traduction, quelle qu’en soit la langue d’accueil. Les re-traductions, en tant qu’elles s’inscrivent dans une philologie, dépendent d’un double principe. D’un principe d’expressivité, où se questionnent les théories linguistiques, et un principe d’histoire, où se recoupent les points de vue d’un temps social et politique sur la langue elle-même. Toutes les traductions d’Akhmatova, celles-ci, comme les précédentes, qui, selon les livres excèdent les doigts d’une main, cherchent le passage de l’aiguille entre langue et histoire. Christian Mouze, Henri Deluy et Sophie Benech ont ceci de commun d’être tous nés au XXe siècle et de néanmoins traduire avec de remarquables différences les mêmes textes parfois. Ils donnent à sentir la vibration tactile et l’inflexion nervée que toute langue contient en elle, comme en attente d’être revivifiée ailleurs, dans le champ étranger qu’elle appelle. Anna, la Sapho russe, faisait siffler sa langue comme une langue étrangère en elle : ses originalités rythmiques et musicales n’ont pas recours à des renforcements rhétoriques ; elles s’appuient plutôt sur des ruptures propres et internes au langage parlé, son poème se dégageant ainsi des cercles hermétiques du symbolisme.
Akhmatova, qu’on la lise ici dans le vaste panorama qu’en propose H. Deluy (de Le Soir à Requiem, jusqu’aux derniers cycles), ou dans ceux offerts par C. Mouze (de Secrets de fabrication à Vers de minuit) et S. Benech (des sept Élégies du Nord aux onze poèmes des Secrets du métier), grand cheval cabré au nez grec que dessina Modigliani, savait faire passer sa mémoire intime dans la lame extime de l’écriture. Ainsi, ceci, dédié à Mandelstam et Voronèj : « Et les peupliers, comme des coupes heurtées, / Vont tinter plus fort au-dessus de nous, / Comme si des milliers d’invités trinquaient / A notre joie durant le repas nuptial. // Mais dans la chambre du poète disgracié / Veillent tour à tour la Muse et la peur. / La nuit passe / Qui ne connaît pas d’aurore » (trad. H. Deluy).

Emmanuel Laugier

De Anna Akhmatova :

Le Requiem & autres poèmes choisis
Traduit du russe par Henri Deluy
Al Dante, 216 p., 17

Secrets de fabrication, derniers cycles
Traduit par Christian Mouze, bilingue
Harpo &, n.p, 28

Elégies du Nord (suivi de) Les Secrets du métier
Traduit par Sophie Benech, bilingue,
Interférences, 63 p., 12

Les sifflements d’Anna Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°162 , avril 2015.
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