Il a le regard clair, le rire franc, et la parole généreuse. À 48 ans, David Vann semble serein, mais rien n’est moins sûr. Peut-être reste-il un homme en colère, un têtu qui refuse la fatalité, qui sait transformer les fantômes de son enfance et leurs boulets de souffrances en poésie. Après le suicide de son père, il a hérité de toutes ses armes. Il avait 13 ans. Comment vivre avec un tel héritage ? Comment vivre quand on reçoit en offrande carabines et fusils, ces symboles de virilité, de puissance, de liberté ? Quand on reçoit en legs des tonnes de violences larvées, de secrets et de mensonges ?
Entretien avec un écrivain qui a fui son pays, s’impose néanmoins comme l’un des meilleurs de cette Amérique foutraque, et pratique l’écriture comme une religion.
Pourquoi Steve Kazmierczak ? Pourquoi lui ? Pourquoi vous ?
J’ai proposé un article au rédacteur en chef de la revue Esquire qui révélerait combien d’enfants avaient accès aux armes à feu dans les banlieues américaines. Mais il venait d’entendre parler de cette fusillade et il m’a dit « Hey, ce meurtrier est exactement comme toi. Un bon étudiant qui mène une double vie à cause des armes. Tu devrais écrire sur lui ». C’est sympa de sa part d’avoir pensé à moi en apprenant cette tuerie de masse !
Quels souvenirs gardez-vous du travail d’enquête ?
Pendant trois mois, chaque jour, je suis resté complètement immergé dans sa vie. En interviewant ses amis et en lisant ses livres préférés comme 1984 d’Orwell ou Antichrist de Nietzsche, en regardant ses films favoris, Fight Club, les épisodes de Saw. Surtout, j’ai obtenu l’autorisation exceptionnelle d’accéder aux quinze cents pages des fichiers policiers qui contenaient ses e-mails, son dossier médical, son expérience dans l’armée ainsi que tous les entretiens que les chargés de l’enquête avaient menés avec sa famille, ses amis, ses victimes. J’étais très excité à l’idée de cette exclusivité : aucun journaliste n’a lu ces informations avant moi. The New York Times, Chicago Tribune, CNN et compagnie ont tous publié des articles sans jamais avoir accès à ces documents.
J’ai plongé dans un monde très noir, trop. Et je pense que cela m’a perturbé. Je suis devenu encore plus anti-américain et cela a précipité mon départ définitif du pays (il partage son temps aujourd’hui entre l’Europe et la Nouvelle-Zélande, ndlr). Cela a affecté le roman que j’écrivais en parallèle et peut-être que cela même a eu un impact négatif sur mon mariage qui vient d’être rompu. Je n’écrirai plus jamais ce genre de livre et parfois je souhaite que celui-ci n’ait jamais existé. Trop de douleurs.
Le seul point positif de tout cela est que j’ai été surpris par son histoire, parce que c’est l’histoire d’un quasi-triomphe. Tout l’avait prédestiné à devenir un meurtrier. Il avait refusé cette vie et avait essayé durant cinq ans de changer, de ne pas devenir ce meurtrier, et il y était presque arrivé. J’ai d’abord...
Entretiens L’enfer, c’est fini (entretien)
octobre 2014 | Le Matricule des Anges n°157
| par
Martine Laval
Des livres