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Les mains dans la lutte S***

octobre 2014 | Le Matricule des Anges n°157

Elle est la huitième membre du gang. Elle a dû attendre pour être reçue. Elle n’avait pas l’âge requis par les autres. Elle n’avait que 64 ans. Elle dit : « Nous sommes un gang de vieilles garces. »
Cela pourrait claquer comme une menace, mais elle ne marche déjà plus sans canne ou sans prendre appui sur une table, un mur. Elle s’emmitoufle dans un vaste châle en polaire mauve malgré la douce température du printemps. Et elle sourit sans ouvrir la bouche, juste en rosissant des pommettes.
Elle dit : « Nous nous rassemblons tous les samedis, toute la journée. Nous faisons notre cuisine. Nous avons apporté des courses toute la semaine. »
Elles épluchent, elles hachent, elles emballent d’aluminium, elles beurrent, elles enfournent. Ce sont deux heures de prises à la mort.
Elle dit : « C’est notre guerre du ventre. Vous n’avez pas connu ces mots d’ordre que l’on faisait aux femmes. Repeupler le pays. Et puis ça soulageait bien les hommes. Ils avaient droit à leur petit coup. C’était dans le contrat. On avait signé. Enfin nos familles l’avaient voulu. Maintenant, c’est la revanche : la guerre du ventre, c’est la joie par la panse. »
À midi, sonnent les invitées. Il n’y a que des femmes. Moyenne d’âge : « Occupe-toi donc de tes oignons ! » Embrassades. Un déjeuner est toujours politique. Une demi-douzaine de journaux sont déployés au milieu des plats fumants et des assiettes de porcelaine. Des articles découpés, soulignés, annotés.
Elle dit : « Je vérifie les chiffres avant de venir. Un par un. Ils ne travaillent pas bien. Nous discutons de tout ensemble. Nous avons nos propositions. »
Le monde n’est pas lointain, ne leur est pas étranger. Elles n’en sont pas tombées. Les réseaux ne leur font pas peur. Elles savent riposter : il faut quelques morceaux de carton, des feutres, des idées claires et marcher groupées.
Elle dit : « Quand on s’amène, qu’on chante : on se fait plaisir. Le plaisir c’est notre façon d’exprimer et d’affirmer nos idées politiques. Être heureuses, plutôt qu’avoir peur. Les gens de la rue ne nous effraient pas, les petits jeunes. »
Après leur déjeuner, elles dansent. Elles ont un professeur. Un gamin de cinquante ans. Un voisin. Il les fait travailler. Le souffle. Les bras. Des petits pas. La coordination. Un peu de valse, pour le plaisir. La santé aussi c’est politique : la condition de sa liberté, pour ne pas être assistée. Elles tapent du pied, elles font voler des foulards, elles défilent. Elles crient.
Elle dit : « Nous en avons terminé du matrimoine : s’occuper de la maison, d’un homme ou des enfants. Nous choisissons nos priorités. Nous prenons le temps de grandir intérieurement. Je me sens moins seule maintenant que mon mari est mort. Dans la famille, j’étais un Frigidaire. Dans le gang, je suis la trésorière. »
Ce sont plutôt les femmes du gang qui se font des sorties. Mais bien sûr toutes sont invitées. L’une vient avec son agenda, marqué de rouge : le lieu, l’adresse et l’horaire. On ne manque jamais d’activités gratuites. Ce peut être pour le maintien d’un service d’IVG menacé dans un hôpital, au profit des femmes congolaises, contre Big Brother et la répression sur Internet.
Elle dit : « Bien sûr que j’ai compris. Ce n’est pas compliqué. Dès qu’il y a un truc de bon, ils se demandent comment nous en priver, nous en enlever un bout. Interdire. Empêcher. Sur Internet, ce n’est pas les droits des artistes qui leur font peur, c’est qu’on serait fichues d’être un peu heureuses s’ils nous laissaient faire. »
Un gang, ça sert à ne pas se laisser emmerder, ce qui le rend plus sûr que la citoyenneté, dit-elle, car on est toujours citoyen de quelque chose, et, ça, ça veut dire le grand retour du sacré, du pouvoir et des règlements.
Elle dit : « Jamais de social. On n’aide personne. On se prend en main. Disputes. Solidarité. Entraide. Autonomie. On fait tout à plusieurs. »
La numéro 1 du gang est entrée en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes en début d’année. Elle ne reconnaît plus les gens. Elles l’ont vue en moins de six mois disparaître à elle-même. Elles l’ont vue devenir hébétée et laide. Et un jour où elle avait tenté de les griffer, elles l’ont vue pleurer, comme un bébé, parce qu’une infirmière les mettait dehors.
Alors elle pense que ce n’est pas la mémoire qui s’est perdue, mais de savoir en faire quelque chose. Comme d’avoir la liberté sur le bout de la langue, mais de ne pas pouvoir la retrouver. Et quand elle voit les copines : elle a honte d’elle-même et ça la rend folle.
Elle dit : « On ne sait pas combien de temps ça va durer pour nous, avant ça. J’espère que j’ai encore le temps de me trouver un chéri d’ici là, et d’en profiter un petit peu. »

Charles Robinson

S***
Le Matricule des Anges n°157 , octobre 2014.
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