Atteindra-t-il la sérénité, un jour ? À la lecture des cinq ouvrages traduits en français de Lee Seung-U, on peut en douter. Abordant les thèmes métaphysiques du mal, de la faute, de l’exil intérieur, du salut ou encore de la liberté, le natif en 1959 du sud du sud de la Corée ourle des moments paroxystiques, triviaux, de violence, de sexe, de rage ou de folie d’un point de croix aussi poétique que fantasmagorique. La nature s’y révèle aussi étrange que protectrice. Les arbres : hiératiques. La mythologie grecque flirte avec un panthéisme coréen. Quant aux protagonistes, ils vivent des moments hors d’un monde, dans lequel ils ne trouvent pas leur place. Pak Pukil, le héros de L’Envers de la vie (Zulma, 2000) est confronté dès l’enfance à cet univers hostile : démence du père, fugue de la mère avec un pasteur protestant, autoritarisme de l’oncle. Comment se construire adulte ? Kihyon dans La Vie rêvée des plantes (id., 2009), écartelé entre un père vert épris de végétaux, un frère amputé des jambes, à la folie masturbatoire, et sa propre mère qu’il espionne. Que doit-il expier ? Yu, muté d’office dans une lointaine province, abandonné de tous, perd peu à peu son identité dans Ici et ailleurs (id., 2011). Le Vieux journal (Serge Safran, 2013) dépeint des personnages dépossédés, vivant des existences absurdes, tragiques, tempétueuses d’introspection. Dernier paru, Le Regard de midi apparaît un tantinet moins noir, moins dru, moins onirique. Cette recherche de paternité d’un étudiant malade, isolé, puis immergé dans une campagne politique se révèle tout aussi grave, éloquente que plus apaisée. Le héros finira-t-il par trouver sa voie(x) ? Le Salut et la grâce par la littérature ?
Les relations familiales reviennent souvent dans vos romans. Vos héros recherchent-ils une harmonie perdue ?
Oui, probablement. L’absence et l’insatisfaction jouent un rôle moteur dans la création de mes romans. Presque tous mes personnages se retrouvent dans un état de manque, dans une situation instable ou oppressante, même s’ils ont un grand désir de s’en sortir. Malheureusement ce désir ne se réalise pas comme ils le souhaitent. Ceci dit, j’écris mes romans avec l’ardent désir de vaincre le manque et l’insatisfaction. Mais en même temps, une vision pessimiste de la réalité, d’après laquelle il est impossible de réaliser ce désir de manière idéale dans ce monde, se reflète inévitablement dans mes ouvrages.
Comment vous est venue l’idée de ce scénario ? Lier la recherche du père dans le monde de la politique…
Je me suis servi du monde et des hommes politiques pour représenter le père d’un monde imparfait, un père irresponsable, à qui on ne peut faire confiance. En Corée, de tradition patriarcale, la politique sert souvent à manifester la soif de pouvoir et de réussite sociale. La réussite sociale semble un immense couvercle qui recouvre tout. La convoitise est dévoilée sans aucune hésitation, la ruse, l’irresponsabilité et...
Entretiens Au fond des choses
juillet 2014 | Le Matricule des Anges n°155
| par
Dominique Aussenac
L’écrivain coréen Lee Seung-U poursuit sa quête spirituelle en interpellant le père. Un roman aussi désenchanté qu’enchantant.
Un auteur
Un livre