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Domaine étranger De bruit et de sang

octobre 2013 | Le Matricule des Anges n°147 | par Martine Laval

En Louisiane, une exploitation forestière, lieu de tous les combats, corps et âmes. Première traduction de l’impitoyable Tim Gautreaux.

Le Dernier arbre

L’Amérique dans toute sa fureur, conquérante, impitoyable. Une famille en ordre de marche pour une mission infernale : l’argent, l’argent encore et toujours, et son miroir, le pouvoir. Une nature luxuriante, pure et magnifique, mise à mal, mise à mort… Le Dernier Arbre de Tim Gautreaux, pour la première fois publié en français, renoue avec la grande tradition du roman made in USA, celui au long cours, puissant, majestueux, naturaliste, d’une fidélité sans bornes au paysage perdu, à l’innocence bafouée.
En ce début du XXe siècle, l’industrialisation écrase la terre et ses ressources, le capitalisme fait feu de tout bois, les patrons règnent d’une main de fer, les travailleurs sont réduits à l’esclavage, les Blancs d’un côté, les Noirs de l’autre, l’alcool pour les soutenir dans leur haine. En Louisiane, pas question de franchir l’ignoble frontière de la couleur de peau.
Une exploitation forestière au cœur des marais sert de décor au roman de Tim Gautreaux. Là, des arbres immenses sortent leurs pieds de trois mètres de diamètre d’une « eau noire comme du pétrole  ». Dans une atmosphère de boue, de moiteur, de fièvre, de suffocation, de menaces, de bayous mouvants et grouillants de bestioles venimeuses, les secrets pullulent. Non-dits et croyances étouffent le moindre petit brin de conscience humaine, voire de miséricorde. Dans un flou vertigineux, sans cesse broyé, brouillé, le bien et le mal, la beauté et l’ignominie, la dignité et la lâcheté, se livrent une guerre sans nom. Le progrès est ici synonyme de dévastation. Corps, âmes et nature pulvérisés dans une même tourmente.
L’industrialisation contre la nature. Les puissants contre les miséreux. Les patrons contre les travailleurs. Les Blancs contre les Noirs, et vice versa. Et en finale, un fils contre son père. Travail, famille, patrie… mais version sudiste, version Tim Gautreaux : trois mots qui donnent l’essence de ce livre physique, charnel, de sang et de larmes, de remords et de souffrances, et chose étonnante, d’une sensualité bouleversante. L’écrivain tient en tenaille avec une maîtrise absolue d’insondables problématiques : qu’en est-il de la paternité, de la fraternité ? Les liens du sang, filiation et hérédité, sont-ils les seuls maîtres de la destinée ?
Travail. Les machines sont le pouls de l’exploitation. Elles crissent, soufflent, souffrent elles aussi, et rythment de leur vacarme, la vie des hommes dont les cris sont bannis. Chaque geste est dangereux. Les accidents sont aussi récurrents que l’éreintement, la paye aussi misérable que les existences sans valeur. Pour oublier fatigue et humiliation, le bar où règne la ségrégation. Alcool, jeux, rivalités, bagarres, tueries. La scierie est le reflet du monde.
Famille. Patrie. Le propriétaire de l’exploitation mandate son fils cadet Randolf à la direction de la scierie. Il attend surtout de lui qu’il remette sur le droit chemin – celui du prestige, de la fierté et de l’unité de la famille – l’aîné, Byron, qui y travaille comme une sorte de shérif, à essayer de mettre en place un semblant d’ordre dans ce lieu de toutes les violences. Byron, rescapé de la grande boucherie de la Première Guerre mondiale, a été envoyé en Europe sur ordre de son père pour l’honneur de l’Amérique. Il a tué là-bas plus d’hommes qu’il ne pouvait l’imaginer, avec une facilité déconcertante. De retour au pays, il n’est que haine envers son père, haine envers l’humanité qui a fait de lui un monstre. Il n’est que douleurs et ne sait que s’enivrer de pauvres chansons d’amour… La candeur et l’immonde sous un même crâne.
Dans des pages foudroyantes, Tim Gautreaux, sans juger ni s’apitoyer, fait revivre à son personnage, personnalité aussi émouvante qu’inquiétante, ses moments de guerre. À la façon presque clinique de Joseph Boyden, auteur canadien de l’époustouflant Chemin des âmes (Albin Michel, 2006), il met en scène la sauvagerie et la folie dans les tranchées de France. Byron : « J’ai vu des obus vaporiser des soldats en une brume rouge. J’ai vu des morceaux de corps humains tournoyer dans les airs. Puis on a envoyé une autre vague de peut-être cinq mille hommes, et à ce moment-là le sol était tapissé de cadavres, et dans mes jumelles je voyais des bouches prononcer des dernières paroles, et j’ai remercié Dieu de me trouver trop loin pour les entendre ? (…) Peut-être avais-je envie de voir les soldats se faire tuer.  » De retour au pays, en 1918, il peut enfin devenir « dingue », être pleinement celui qu’il est devenu, un abîme de chagrin.
Dans l’univers de Tim Gautreaux, la rédemption est chose utopique, aussi fragile qu’éphémère. Hommes au travail ou pris dans le tumulte familial n’ont pas le droit au repos. La paix se love dans un impossible oubli, ne trouve refuge que dans la mort. Rien qu’avec ce roman, cet auteur-là prend place dans la famille des grands raconteurs sudistes d’histoires ô combien universelles. Ernest J. Gaines, Larry Brown, Ron Rash. Excusez du peu.

Martine Laval

Le Dernier Arbre,
Tim Gautreaux
Traduit de l’américain par Jean-Paul Gratias,
Seuil, 416 pages, 22

De bruit et de sang Par Martine Laval
Le Matricule des Anges n°147 , octobre 2013.
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