Enquête : la littérature est-elle encore engagée?
Sur leur site internet, les éditions Al Dante se présentent en usant de termes comme « résistance », « engagement », « activisme » et revendiquent une pratique à mille lieux de celles habituelles dans le monde éditorial. Curieuses de nouvelles formes d’écritures (poétiques souvent) et de pensée, elles accueillent autant les chroniques de Jean-Marc Rouillan, que les balbutiements azimutés d’Édith Azam ou les photos de Bernard Plossu. Une façon de pratiquer l’« indocilité » ?
Laurent Cauwet, les éditions Al Dante qui publient essentiellement de la poésie s’affichent comme étant des éditions engagées. Or, la poésie, hormis avec les poètes de la résistance, n’a guère souvent été un genre engagé, mais plutôt en retrait, dans une mise à distance. Comment s’articule l’engagement avec la poésie que vous publiez ?
Je ne pense pas avoir jamais utilisé ce terme « d’éditions engagées ». J’ai pu éventuellement utiliser les termes d’éditions « critiques, indociles, remuantes… », voire « agacées ou nerveuses », parlé de politique, ça certainement, et défendu l’idée de « créer des espaces d’inconfort »… Mais les notions de littérature et d’art engagés me sont étrangères. Je ne sais pas ce que cela peut signifier. Et qui décide de cet engagement ? L’auteur(e) s’autoproclamerait ainsi ? ou les médias ? l’éditeur ? selon quels critères ?
Actualité oblige, je ne peux m’empêcher de faire le lien avec l’engagement politique tel qu’il se définit aujourd’hui via le jeu électoral : on nous demande de voter pour des gens engagés ; ils sont engagés dans un combat politique défini par un parti. Chaque parti collabore à un jeu dit « démocratique ». Lorsqu’on voit comment fonctionne ce jeu, on s’aperçoit que ces partis ne fonctionnent plus comme des contre-pouvoirs, mais font le jeu du pouvoir, qu’ils sont devenus des forces étatiques (c’est d’ailleurs bien pour cela que l’on cherche à culpabiliser toute critique du vote). Le milieu culturel est le décalque du milieu politique, c’est-à-dire qu’il fonctionne selon les mêmes jeux de pouvoir. On y fait son beurre sur des discours et des gestes souvent « engagés », selon des critères définis par des instances de pouvoir (qui dispensent visibilité, reconnaissance et subsides), qui ainsi ont su produire un système plus efficace que la censure : la gestion des paroles engagées, selon un mode de production qui inclut l’auto-censure… Pour moi, la notion de littérature engagée ne signifie rien.
Quant à la poésie : j’aurai trois remarques :
La première est que les éditions Al Dante ne publient pas essentiellement de la poésie, mais des textes qui, certainement, rendent parfois difficile l’identification des genres. L’espace poétique qui nous intéresse et où se croisent la plupart des auteurs que nous publions fonctionne comme un atelier où se pensent et se réinventent des outils d’écriture, qui sont ensuite utilisables de façon différente, selon l’impact désiré par l’auteur(e).
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