Une fois encore, creusant la part d’ombre des hommes et des désastres dont ils sont capables, Kossi Efoui a trouvé la parole juste. Trois ans après Solo d’un revenant, un livre récompensé par de nombreux prix, l’écrivain togolais revient avec un roman comme une voix puisée dans la nuit. Cette nuit est celle d’un jeune homme de 21 ans sans nom ni prénom, sans véritable identité. Où sommes-nous ? En Afrique ? Ailleurs, sur un territoire où les mots mensongers fréquentent la guerre, l’emprisonnement, la terreur ? Que lisons-nous ? Un conte maudit ? L’expression même du maléfice ? Un peu tout à la fois.
L’histoire est celle d’un fils reclus dans un espace clos, sorte de griot invisible qui s’extraie des profondeurs grâce à la parole. Cette parole dit l’absence d’un père longtemps pris par le bagne et qui revient quatre plus tard, muet cependant et ne réservant sa voix trouble qu’aux oiseaux des marais avec lesquels il vocalise. Ce père spectral, que l’on devine cassé par l’internement à la Plantation, c’est le nom du lieu du supplice, doit pourtant pointer au « Cercle de la parole » pour bénéficier d’une aide. Nous sommes en effet dans le temps d’après. Après l’effroi. Nous sommes dans le temps nouveau où se construit une nation neuve où la parole, et donc sa maîtrise, sont une grande affaire. Avec une construction romanesque très théâtrale, Kossi Efoui signe un nouveau texte puissant sur la vérité et la fausseté dont les meilleures armes sont les mots, et en particulier les mots qu’il faut dire ou ne surtout pas dire. C’est aussi le livre des mots qu’il faut entendre pour construire son propre vocabulaire, sa force, celle qui aide l’enfant à devenir adulte. Pour le jeune orateur de l’ombre, l’enjeu a cette importance au point qu’il ne croit pas au silence de son père. Il l’épie « jusque dans son sommeil », guettant comme des parents le feraient sur les lèvres de leur enfant « le premier mot intelligible ». Il observe, attendant le miracle de la voix, porté par le souvenir de cette vieille légende selon laquelle, « lorsqu’on cherche un trésor, il faut le faire dans la nuit noire ».
Serge Airoldi
L’Ombre des choses à venir
Kossi Efoui
Éditions du Seuil, 158 pages, 17 €
Domaine français L' Ombre des choses à venir
avril 2011 | Le Matricule des Anges n°122
| par
Serge Airoldi
Un livre
Par
Serge Airoldi
Le Matricule des Anges n°122
, avril 2011.