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Domaine étranger L’autre monde

mars 2011 | Le Matricule des Anges n°121 | par Lucie Clair

Le premier roman de Fabio Morabito est une exploration savoureuse et baroque des délicieux émois de l’adolescence.

Emilio, les blagues et la mort

Emilio est un jeune garçon de 12 ans, nouvellement installé avec sa mère divorcée près du cimetière qu’il fréquente chaque jour en attendant la rentrée scolaire. Souffrant d’hypermnésie, autant que de la séparation de ses parents, l’enfant cherche son prénom sur les tombes et refuse de se nommer auprès de ceux qu’il rencontre, car « il valait mieux ne pas prononcer son nom avant d’être sûr qu’il y ait quelqu’un qui porte le même. Sinon, afin de se le procurer, les morts essaieraient de faire mourir la personne ». Eurídice, masseuse dotée d’une « ossature formidable, un peu sombre et féroce comme une sœur protectrice, mais sans défense » vient le mercredi déposer un bouquet de marguerites sur la tombe de son fils, mort à l’âge d’Emilio. Deux êtres en errance au royaume des morts, gardés par des ombres, sombre comme le maçon Severino, donjuanesque comme Adolfo, bienveillante comme « le flic » analphabète surveillant les allers et venues et entiché du « détecteur de blagues » que transporte Emilio. Deux solitudes qui se rencontrent, une passion qui éclot, et un monde s’ouvre pour le jeune garçon découvrant, assis entre deux tombes, que l’intimité des femmes « semblait inépuisable et les cuisses féminines une étendue mystérieuse et sans fin ».

Se prémunir contre la peur de vivre comme de mourir.

Dans cet univers a priori lugubre, Fabio Morabito – dont on avait salué son recueil de nouvelles Les Mots croisés (cf. Lmda N°101) – joue avec les représentations de la vie et de la mort qui nous gouvernent et circonscrit les contours subtils de leurs points de rencontre. Adolfo changeant les dates de décès pour que les visiteurs « se prennent d’affection pour un mort et l’adoptent », Eurídice oscillant entre le souvenir de son fils Roberto (« un démon ») et la tentation sensuelle offerte par Emilio, chaque personnage à sa manière sert de point de jonction entre son monde et celui des disparus, pour que ceux-ci le soient un peu moins, pour leur donner encore à exister. Pour que les vivants continuent d’appartenir à l’espèce humaine, dont la caractéristique est, outre le langage, la capacité à s’occuper des mourants et des défunts – les animaux n’enterrent pas leurs morts. Car si la langue d’Emilio, les blagues et la mort semble légère, mise à la portée des perceptions d’un adolescent concentré sur l’éveil des sens, c’est aussi un roman habile et complexe, abritant un cri d’alarme contre la potentielle déshumanisation qui nous guette dès que les morts sont négligés : « Si le mort n’est pas assez récent, il n’éveille pas l’intérêt. Qui va adopter une personne née au début du siècle dernier ? Personne. Elle appartient à la préhistoire. Mais si elle est morte il y a quelques années seulement, elle a plus de grandes chances qu’on lui apporte des fleurs. » A contrario, l’hymne à la vie prend naissance dans la célébration de la sensualité – car à quel autre moment se sent-on aussi vivant que lorsque le corps est tout entier dédié à la jouissance partagée ?
Roman initiatique, à la fois tendre et cru, à l’image de ces années où les découvertes de la chair et des sentiments alternent faces joyeuses, burlesques et désespérantes, Emilio, les blagues et la mort livre les clés du passage – d’un monde à l’autre, celui des vivants aux morts, de l’enfant à l’adulte, et pointe ce qu’on doit abandonner pour grandir, ou partir. Entre ces deux mondes, résident les zones sensibles où vie et mort cessent d’être antagonistes, où l’inexpugnable énigme de notre existence individuelle et la connaissance de notre condition de mortels composent le socle de la joie de vivre. « Etre vivant constitue un privilège si énorme, si l’on tient compte des infimes possibilités d’y parvenir au milieu de la matière cosmique démesurée, que le simple fait de respirer devrait nous faire bondir de joie. » Une joie ressource qui trace les lignes de l’apprentissage d’être soi, et les prémices du devoir de loyauté à la personnalité qui se définit à l’adolescence, et s’affine progressivement, au fil des ans.
Fabio Morabito (né en 1955 en Egypte, de parents italiens), a été couronné de multiples prix pour ses recueils de poésie au Mexique, où il vit depuis l’âge de 15 ans. Ses textes, encore trop peu connus en France (celui-ci n’est que sa deuxième traduction), offrent un univers toujours composite, délicat et humaniste, réaliste et étrange, se tenant au plus proche de la complexité de l’esprit humain. Avec ce premier roman aux allures classiques, il bouleverse les codes, ramène au jour les fantasmes qui nous habitent, exhume les talismans que l’on transporte pour se prémunir contre la peur, de vivre, comme de mourir – et nous offre, à l’instar d’Emilio, d’être « enfin libéré des ténèbres, grâce à une blague emportée par le courant qu’il ne verrait jamais, venue d’on ne sait où, comme toutes les blagues et les prières ».

Lucie Clair

Emilio, les blagues et la mort
Fabio Morábito
Traduit de l’espagnol (Mexique) par Marianne Millon
José Corti, 212 pages, 20

L’autre monde Par Lucie Clair
Le Matricule des Anges n°121 , mars 2011.
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