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Domaine étranger Fumées mystiques

octobre 2010 | Le Matricule des Anges n°117 | par Benoît Legemble

Roman de l’inquisition et de la parole muselée, L’Affabulateur esquisse l’itinéraire tumultueux d’un adolescent persécuté par l’église pour ses dons de conteur.

À l’origine de ce récit populaire, il y a un nom. Celui – relativement peu connu en France – de Jakob Wassermann (1873-1934). Figure de proue de la littérature germanophone de la république de Weimar et proche de Thomas Mann, il est le père d’une œuvre qui suscita les bons mots d’écrivains tels Hofmannsthal, Schniltzer ou encore Zweig et Henry Miller. Originellement appelé « L’Emeute pour sauver Ernest, le gentilhomme adolescent », L’Affabulateur regorge de références, notamment aux traditions picaresque et conteuse. S’il n’est pas à proprement parler question de roman de formation, le lecteur est pris au jeu des rencontres de ce misérable troubadour dont la précocité et l’ingéniosité séduisent les foules. Certains destins semblent comme gravés dans la pierre. Ainsi en va-t-il d’Ernest, enfant sans famille, dont le père est mort dans un duel et la mère s’est volatilisée du jour au lendemain. Pourtant, c’est bel et bien le retour de cette femme mal-aimante, après huit années d’absence, qui vient réactiver le récit et promulguer son lot de péripéties.
Le beau-frère de la baronne, désormais nommé évêque de Wurtzbourg dans l’Allemagne du 17e siècle, renoue ainsi des liens avec sa belle-sœur, la baronne d’Ehrenberg. Il doit aussi s’enquérir d’Ernest, dont il avait confié la charge à un précepteur. C’est à ce moment-là que l’homme d’église – puritain dévoré par la représentation menaçante d’un Dieu vengeur – verra un jeune homme métamorphosé. Glanant ses habits au hasard des rencontres et des chemins, Ernest a su développer un extraordinaire talent de conteur qui lui vaut l’estime de la population. Un saltimbanque aux voix multiples, qui se joue des apparences. Comme en écho à la phrase de Diderot dans Le Neveu de Rameau, l’exhortation à la prudence se dessine au sein des institutions religieuses : « Méfiez-vous de l’homme singe, il est sans caractère. » Cette plasticité est vue d’un très mauvais œil par les tribunaux de l’inquisition, qui considèrent Ernest comme étant « déjà au bord de l’abîme ». D’autant que ce dernier raconte des histoires qui exciteront les passions des habitants. Voici donc venu le règne des silenciaires. Une époque où la parole se loge au creux du soupçon, et l’imagination est sévèrement prohibée.
On a souvent glosé sur la façon dont Wassermann, juif d’origine, avait pressenti la montée du nazisme. L’Affabulateur confirme cette intuition. L’évêque et ses acolytes y cherchent des boucs émissaires à sacrifier à titre d’exemple. Ils veulent tuer dans l’œuf la révolte, introduire l’ère du soupçon et de la délation : « À chaque fois, il suffisait de trouver le coupable, celui qui avait pactisé avec le diable, celui qui en portait les stigmates, celui qui avait la marque du démon, le maudit, homme ou femme ou vieillard ou juif ou chrétien. Le dénicher pouvait-il être difficile, dès lors que partout, on le montrait du doigt ? Qui cela ? Voyons, celui qui, justement, sortait du lot. »
Ici, il est question de l’odeur de chair brûlée des cadavres. Ailleurs, du zèle des autres dans la chasse aux sorcières. Si l’église règne de main de maître sur la communauté, le roman se meut progressivement en un théâtre où s’opposent la scolastique religieuse obscurcie « par les brumes de l’hermétisme », et la poésie du conteur. Celle-ci s’impose comme la langue de restauration de la communauté spirituelle, ainsi qu’en atteste la scène où Ernest se voit accompagné par une douzaine de camarades rencontrés sur les routes – variation bohémienne des apôtres entourant le Christ. Le renversement final et la délivrance du damoiseau captif par la plèbe viendront conforter cette résurrection collective de l’imaginaire. Car comme l’écrit Wassermann, il s’agit de faire du rêve l’horloge où lire l’heure.

Benoît Legemble

L’Affabulateur
Jakob Wassermann
Traduit de l’allemand par Dina Regnier Sikiric et Nathalie Eberhardt
La Dernière goutte, 170 pages, 17

Fumées mystiques Par Benoît Legemble
Le Matricule des Anges n°117 , octobre 2010.
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