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Domaine français Les rivages du conte

octobre 2010 | Le Matricule des Anges n°117 | par Sophie Deltin

Le cinquième roman de Bachi confronte la quête de liberté et d’aventures d’un Sindbad moderne à l’agonie de son pays, l’Algérie.

Amours et aventures de Sindbad le Marin

Tandis que dans Le Silence de Mahomet (Gallimard, 2008), Salim Bachi redonnait vie et humanité au fondateur de l’islam, cette fois l’écrivain algérien, né en 1971, nous entraîne dans les tribulations de l’un des héros qui fondent notre littérature et notre psyché : « Sindbad le marin ». Chez l’auteur du Chien d’Ulysse (2001), de La Kahéna (2003) et des Douze contes de minuit (2007), ce goût originel pour les mythes et l’imaginaire de la culture gréco-latine et orientale n’est pourtant pas inoffensif. D’ailleurs, derrière son érudition classique solide, il y a davantage encore ces creux, ces interstices où chaque fois trouve à s’immiscer l’inspiration de l’écrivain – la puissance d’une imagination ne se mesure-t-elle pas à la capacité de faire voir le monde à nouveau, en inventant d’autres odyssées possibles ?
Dans son dernier livre, le référent mythologique, encore une fois omniprésent, éclaire naturellement l’histoire contemporaine de l’Algérie. On y découvre en effet un homme et son chien – l’un des Sept Dormants sorti tout droit d’un sommeil légendaire, à peine arrivé dans la cité de Carthago, anciennement baptisée Alger. Dans cette ville exsangue, défigurée par une violence chronique et confisquée par « un président à vie », répondant au nom de « Chafouin Ier », l’irruption de ce revenant sans âge qui a dormi le temps d’une guerre et puis d’une autre, n’augure rien de bon… Ici encore, le télescopage, la déflagration permanente du passé le plus reculé (celui de l’Antiquité) au cœur de la modernité (l’Algérie d’après les années 90) pour dire l’immuable de la violence, offre une vision crépusculaire, voire apocalyptique de « cette déesse sanguinaire » qu’est l’Histoire.

De la satire à la détestation.

« Personne »
– puisque tel est le nom de ce prophète funeste – y fait pourtant la connaissance du jeune et fougueux Sindbad, lequel va lui livrer le récit de sa vie. à travers ce nom, convoqué comme un orient du désir et de nostalgie, sans doute un sésame de l’enfance pour l’auteur, c’est bien toute une lignée secrète, une filiation, qui bruisse de Temps, de mémoire mais aussi de drames et de périls. Ainsi, comme son lointain et illustre aïeul de Bagdad, celui du conte, Sindbad ressuscité ici en sans-papiers à la conquête du mirage européen, a brûlé ses vaisseaux. « Vivre vite, partir loin, aimer le plus » n’est-il pas son « programme » ? Ce grand voyageur parti à l’aventure de l’Italie jusqu’à Paris, en passant par l’Espagne et le Moyen-Orient, est aussi un arpenteur des abîmes et des chemins de traverse du plaisir. Hanté par son amour pour Vitalia, Sindbad adore les femmes, et Bachi sait l’écrire.
Nourrie à la lumière du bassin méditerranéen, la prose du romancier, encline à jouer des contours et des perceptions, n’en est pas moins partagée entre l’humour et la colère, et la causticité insinuante de son style qui irrigue tous ses livres, s’en donne ici à cœur joie.
Sans surprise donc, l’auteur ne ménage ni le pouvoir en Algérie, ce « foutu pays » englouti par les massacres et le sang qui ont sacrifié l’avenir de sa jeunesse. Ni la crédulité suicidaire des Algériens eux-mêmes (« des zombis » auxquels on avait « supprimé âme et conscience »). Ce pays est une « monstruosité » car comme il est dit à la fin, « Tout le monde est coupable », les innocents comme les bourreaux. Mais de façon beaucoup plus générale, c’est au « goût moderne » qu’il s’en prend, à l’Occident (« une capacité infinie de faire des généralisations »), à la « république de Kaposi » (« L’ostrogoth, coupeur de bourses, micheton de la Phynance, coquin d’armement… »), à la France (« l’unique contrée dont la préoccupation essentielle, chaque matin, comme un constipé qui va à la selle sans espoir, est son reflet dans un miroir »). Dans certaines pages exaspérées, notamment consacrées à la publicité, à la vulgarité du tourisme à Rome qui ruine tout sens de l’aventure, ou aux « artistes de seconde zone » que sont les pensionnaires de la Villa Médicis (que Bachi fut un temps lui-même !), le ton satirique tourne carrément à l’exercice de détestation. Sans doute ces agacements contre l’avenir démocratique « au coin du Net », ou contre « la bêtise » d’une époque qui massacre tous les Sindbad du monde, n’ont parfois rien de très original. Mais ce reproche mis à part, le véritable enjeu du roman reste de taille. Placé sous le signe d’Homère et de Schéhérazade – cette « humanité disparue », il tient plutôt à son art de questionner la souveraineté et la postérité des histoires : en naviguant entre les époques, que rend une composition habilement agencée entre des éclats de réel et des fragments de fables, de mythes et d’autres légendes archaïques, c’est l’insistance de la parole qui est louée dans un monde ouvert au hasard et à la catastrophe. N’en finissons pas avec eux, nous exhorte Salim Bachi. Plus qu’une sentinelle qui nous dit inlassablement de ne pas laisser le passé en repos, le conte est un viatique de sens, un vivier de trouble, de mystère et donc d’inachevé.

Sophie Deltin

Amours et aventures de Sindbad le marin
Salim Bachi
Gallimard, 272 pages, 17,90

Les rivages du conte Par Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°117 , octobre 2010.
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