Etrange texte que ce Corps étrangers. Dense, touffu, fantastique, cruel. Un texte qui dérange. Stéphanie Marchais met en jeu une galerie de monstres, mais elle arrive par un travail sur la langue et par certains monologues ou soliloques stupéfiants à approcher une poésie de ces grands désordres humains.
Un docteur fou, Hunter, un serial killer, dissèque les cadavres qu’il trucide ou fait trucider. « Au plus confus des cadavres sans identité que je questionne depuis des années, c’est la mort que je défie. / Un voyage dans la terre encore tiède d’un homme qui vient de passer est l’ultime provocation que je peux lui offrir. » Et voilà Hunter obsédé par sa prochaine victime, un géant bossu O’Well. Il veut cet homme pour l’ajouter à sa collection et informer ses contemporains sur « les dedans du monstre ». Ce géant, « coupable d’aucun méfait sauf peut-être celui d’être démuni de tout et heureux quand même » est un homme seul, à cause de sa difformité mais aussi parce que sa fille de 10 ans est morte. Il converse régulièrement avec elle, qui nous parle des occupations des morts, leurs copulations, leurs observations. « Je m’ouvre comme un fruit pressé entre deux pouces / La pulpe vient facile / Je me donne à manger à ceux qui veulent bien / Ici la faim n’est pas / Les entrailles ne veulent rien ».
Une fois le meurtre accompli par un certain Mac Mosse, le géant et le docteur se retrouvent face à face pour un dialogue surréaliste, le mort trouvant l’endroit du rire et le vivant ne faisant plus partie du monde. La mort, la difformité, la monstruosité, l’intérieur des corps et des âmes est sondé avec cette pièce qui pose les questions de comment connaître l’autre, éternel étranger, et toucher un peu le secret d’une vie. Le mystère est là, dans cette frontière entre la vie et la mort, et ces Corps étrangers se terminent avec la venue d’une femme enceinte, s’installant dans la maison du géant bossu et reprenant à son compte l’une des phrases de la petite fille morte, l’invisible se matérialisant le temps d’une seconde.
CORPS éTRANGERS
dE sTéPHANIE MARCHAIS
éditions Quartett, 128 pages, 12 €
Théâtre Corps étrangers
mai 2010 | Le Matricule des Anges n°113
| par
Laurence Cazaux
Un livre
Corps étrangers
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°113
, mai 2010.