Il y a eu mort d’homme. Un cadavre dans une combinaison en latex rose, enduit de talc. La peau de mue à peine identifiable d’un homme d’affaires influent. à partir de là, le lecteur peut choisir d’abandonner tout de suite ou de suivre les traces de la meurtrière fantasque, secrétaire sexuelle du grotesque cadavre, pantin désarticulé. Et se demander, au bout du compte, ce qui l’a poussé à continuer : ses propres fantasmes sado-maso version barbie, son instinct de vautour aimant les faits divers croustillants (puisque fait divers il y eut, à la source), surtout quand il s’agit d’un homme riche (nouveau filon en période de crise : la déchéance des patrons et des traders), ou encore une sourde attirance pour certaines phrases du prologue (« La fiction éclaire comme une torche » ; « l’écriture est une arme dont j’aime à me servir dans la foule »). Mais les fantasmes y sont tristes, et l’on comprend vite que le jeu de Régis Jauffret, entre la fiction et la réalité de « l’affaire Stern », n’est qu’un alibi pour dire autre chose. Car nous voici dans la peau d’une narratrice versatile et indocile, qui nous livre tout à trac : « Je ne l’avais pas tué. J’avais inventé ce souvenir pour me faire peur. Il me fallait refuser de croire en la réalité. La réalité est nombreuse comme une portée de chiots. Il faut choisir la sienne, et éviter de se laisser séduire par le faux-semblant de la vérité. On n’a jamais prouvé qu’elle n’était pas un mensonge de plus. » Plutôt que de chercher à démêler le vrai du faux, l’auteur montre la violence de toute mise en récit (celle de la fiction, de l’interrogatoire policier, des médias, de la conversation, de la petite mythomanie intérieure). Sévère est un récit coupé au couteau, débarrassé en apparence de toute émotion, qui a un vague air de parenté avec L’étranger de Camus. Qui, surtout, parle bien de notre époque, où le romanesque se réfugie dans les notes de frais. Si le diable est dans les détails, la littérature s’en est peut-être allée ailleurs. En ca
SÉVÈRE
de RÉGIS JAUFFRET
Seuil, 161 pages, 17 €
Domaine français Sévère
avril 2010 | Le Matricule des Anges n°112
| par
Chloé Brendlé
Un livre
Sévère
Par
Chloé Brendlé
Le Matricule des Anges n°112
, avril 2010.