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Domaine étranger Avec la mer du Nord

mars 2010 | Le Matricule des Anges n°111 | par Marta Krol

Habile, surprenante ou poignante, la prose de Jón Kalman Stefánsson est comme travaillée par le froid.

De l’islandais ! La langue d’origine est assez rare pour inciter à ouvrir ce livre, et l’incitation tient ses promesses. La fiction que Jón Kalman Stefánsson déploie très progressivement, distillant les événements avec rareté parmi de denses tranches visuelles ou introspectives, est - la métaphore est certes usée mais dans ce cas inévitable - un voyage, voyage au pas des gens aux yeux clairs, à de rares exceptions près : « Ils arrivent de France et d’Espagne, nombre d’entre eux ont les yeux noirs et certains laissent la couleur de ce regard auprès d’une femme avant de repartir, puis d’arriver chez eux ou bien de se noyer en route ».
Parce que l’histoire nous emporte, nous fait quitter nos rassurants présupposés sur comment, « dans la vie », on se déplace, on se vêt, on se fait l’amour, ou on meurt. Comment le jour se lève ou la nuit arrive, et quelle valeur peut avoir une paire de bottes en caoutchouc. Comment on se parle, même : « Bárdur approche sa tête jusqu’à toucher celle du gamin, ses yeux marron sont emplis d’un message qu’il ne saisit pas, sa bouche se contracte, il s’efforce d’articuler des mots, de triompher du froid, et il y parvient, les mots arrivent, certes déformés, mais compréhensibles pour celui qui connaît leur origine (…) » C’est en cette découverte de « la vie des autres » que réside, comme souvent, l’intérêt du livre, davantage qu’en l’histoire racontée, plus que ténue : une amitié des deux jeunes garçons que seuls les livres - chose rarissime là-bas - passionnent, une sortie en mer (du Nord) tragique, un amour déçu avant encore de s’épanouir, une solitude désespérée, une impossibilité à accepter le sort tout comme à le refuser… Du reste, le je du récit, lequel en fait est un nous, appartient tout en se faisant oublier à une curieuse entité, qui plante d’emblée la particularité du récit : « Nous sommes ici, à la surface, errants et sans repos, apeurés et amers, alors que nos os gisent, tranquilles, au creux de la terre, avec au-dessus d’eux un nom sur une croix. »
« Voilà pourquoi la lune a été placée dans le ciel ».
Grâce à ce nous dont on comprend l’omniscience - car le monde est orphelin de Dieu - une galerie de personnages, de vies, de destins étranges ou tragiques défile à mesure que l’histoire lentement avance ; personnages que gouvernent, comme toujours et partout, le désir, la nécessité, quelquefois l’amour, d’autres fois la générosité. Seulement, les conditions dans lesquelles prennent forme les sentiments, dans lesquelles s’expriment les passions ou se répriment les émotions, sont radicalement autres ; différence au travers de laquelle la fraternelle similitude des humains n’est que plus éloquente : « Bárdur sortait toujours à huit heures pour regarder la lune au moment où sa bien-aimée, debout devant la ferme, faisait de même, il y avait entre eux des montagnes et des immensités, mais leurs yeux se rencontraient sur l’astre nocturne, exactement comme ceux des amants le font depuis le début des temps, voilà pourquoi la lune a été placée dans le ciel ». Si bien qu’on commence à entrevoir, grâce à cette grave lecture, que la vie peut consister quelquefois, simplement et sans équivoque, en la lutte pour tenir le froid à distance - sans que les hommes abandonnent pour autant ce qui les distingue des morues ou des chiens : les régions spirituelles de l’existence. Il en irait finalement comme pour ceux qui tous les jours prennent le métro : « Certains vivent d’une manière qui ne passe pas inaperçue, leur existence imprime un mouvement à l’atmosphère, d’autres restent de longues années accrochés à la vie sans faire de vagues, le temps s’écoule à travers eux (…) »
Et on s’aperçoit, comme avec chaque écrivain de talent, qu’en rendre compte à travers l’écriture, dense et soignée, sachant se faire rapide tout comme capable de plongées abyssales, amenant sans surcharge le détail inconnu, cela aboutit à des morceaux de littérature, en ce que celle-ci prend la vie en charge et la transforme.

Entre ciel et terre de Jón Kalman Stefánsson
Traduit de l’islandais par Éric Boury, Gallimard, 237 p., 21

Avec la mer du Nord Par Marta Krol
Le Matricule des Anges n°111 , mars 2010.
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