Un récit où dans un grand fatras burlesque, s’empêtrent un orphelinat déjanté, une colonne de blindés qui tourne en rond, et un nain à la recherche d’un cirque en morceaux. C’est l’histoire du petit Ilia qui nous est ici contée. Il en est le narrateur et le héros principal. Enfant trouvé, aux origines incertaines, « né dans un œuf noir », il vit avec son frère surnommé le Singe, dans une ancienne maison de noblesse du village de Sirem, reconvertie en orphelinat. Au sein du « foyer Le Foyer », une « bande de voyous, gibets de potence, tas de syphilitiques, Manouches, basanés, faces de goudron, canailles », frottés au savon de goudron noir par une cohorte de bonnes sœurs, pour qui ces enfants de personne sont forcément du bon dieu. Surtout le Singe, tout crotté et muet, qui rejoindra le paradis des innocents.
Sauf que le bon dieu, les soldats tchèques n’en ont cure. En revanche, former cette bande de vauriens en partisans zélés, prêts à combattre l’entrée intrusive des « Ivan »… En une nuit, Ilia voit les « saintes nitouches » remplacées manu militari par le commandant Vyzlata. « Qui veut savoir tirer, ramper et lancer une grenade à main sur l’ennemi ? On a tous crié : Moi ! Moi ! Moi ! ». Voilà où commencent réellement les aventures d’Ilia, jusque-là perdu au « Pays des Ombres » et en quête d’une nouvelle vie. « - On te prendra peut-être avec nous. - Où ça ? - À la légion étrangère. (…) On a des couteaux et des lampes torches. Tu peux venir avec nous. On est les Hors-la-loi. »
De l’orphelinat, Ilia a appris à baragouiner plusieurs langues. Des entraînements du commandant Vyzlata, à tenir des cartes précises des villages et des forêts. Des compétences qui intéressent au plus haut point les soldats de la division blindée russe La Ritournelle, égarée en pays inconnu. Et incapables de comprendre le tchèque. D’apprentissage militaire tchécoslovaque en convoi armé russe, l’enfant-narrateur va traverser le conflit jamais nommé, celui du Printemps de Prague. Dans une langue instinctive et factuelle, il déploie le récit des événements qui le ramèneront inéluctablement à son point de départ, au « foyer Le Foyer », où repose le Singe.
Le bon dieu
et les hors-la-loi.
Comme le petit Oscar de Günter Grass, accroché à son tambour, Ilia se fond dans le tank de l’envahisseur. À l’image de la Tchécoslovaquie qui se cherche dans le bloc communiste, il est prêt à porter tous les uniformes, pourvu que derrière se cache une famille. Une recherche qu’il effectue avec un certain recul… « et j’ai réalisé d’un coup que même si ce type n’était pas mon vieux, il valait certainement mieux être sur un tank que de se retrouver écrasé comme une crêpe dessous. » Du long monologue qui ouvre le roman, où les détails abondent, le récit d’Ilia devient plus travaillé et réfléchi. C’est qu’Ilia grandit au fur et à mesure où le char russe avance vers la résistance tchèque. Il le mesure à l’aune de son uniforme qu’il doit défaire de ses épingles. Jáchym Topol a su morceler une parole dense et souvent décalée, en une succession de scènes, pour faire de ce roman un condensé kaléidoscopique des différents tourments qu’a subis la Bohême.
Derrière cette succession d’histoires épiques et rocambolesques se tient un romancier de l’underground, poète et cofondateur de la revue clandestine Revolver. Zone cirque raconte son Printemps de Prague, sa Révolution de velours et rappelle qu’il appartient définitivement aux dissidents du régime communiste, comme le furent son père et son grand-père. Une histoire de famille en somme.
Zone cirque de JÁchym Topol
Traduit du tchèque par Marianne Canavaggio
Noir sur blanc, 282 pages, 21 €
Domaine étranger Poupées russes
novembre 2009 | Le Matricule des Anges n°108
| par
Virginie Mailles Viard
Le Tchèque Jáchym Topol revisite l’histoire de son pays, à travers le récit d’un enfant-tankiste. Une fable fantastique.
Un livre
Poupées russes
Par
Virginie Mailles Viard
Le Matricule des Anges n°108
, novembre 2009.