Passée la Seconde Guerre mondiale et ses lots variés d’horreurs, le monde avait changé, comme le regard qu’on lui portait et les réflexions que le genre humain se prodiguait. En conséquence, les interminables fresques romanesques de Georges Duhamel ou de Jules Romains n’avaient plus cours, non plus que les bluettes fashionables des Roaring Twenties. Oubliés aussi Paul Bourget et ses billevesées sentimentales, la poëterie qui se tordait les mains avec des airs inspirés et les romans d’avant 1940. La nouvelle époque, renaissance hagarde, voulait du lourd, de la perspective sociale, et jusqu’aux sentiments de culpabilité de Maurice Blanchot qui nous encombrent encore, la fiction se devait de formuler des « projets », des théories, des doctrines. Un rouleau compresseur venait de passer.
Pour Pierre Bost, qui débuta comme André de Richaud par l’écriture dramatique, en 1923, avec un Imbécile (NRf, 1923) mis en scène par Jacques Copeau au théâtre du Vieux-Colombier, la guerre aura tout changé. Rien ne laissait deviner la mutation en cours, et si l’on en juge par la lettre qu’il écrivait à son ami le dessinateur Jean Effel le 26 octobre 1943, rien n’était formulé de son parcours à venir : Le « café de Flore a retrouvé sa tête en la personne de Jacques Prévert. Un soupir de soulagement a couru sur le quartier (…) on s’est ressenti chez soi. D’autres encore, revenus. Armand (Salacrou) (…) Le petit père Beucler »… Il pense au temps où tous se retrouveront : « ça ne sera pas si bientôt qu’on a voulu nous le dire, mais (…) ça sera, et (…) il y aura encore des moments de bonheur (…) elle ne finira donc jamais cette bon dieu de guerre ? Mais si, elle finira (…) il n’y a plus de bombes depuis un bon bout de temps (…) Se nourrir ? Oui, on y arrive, ça dépend des moments ; les femmes se débrouillent miraculeusement. Il y a bien les soudures de vin et de tabac… »
Né le 5 février 1901 dans le Gard, à Lasalle, Pierre Bost grandit au Havre, fruit des amours d’un pasteur historien du protestantisme, un meneur d’âmes qui lui communiqua sa connaissance des destinées douloureuses. Très tôt entré dans la carrière littéraire dans l’élan fourni par la lecture de Marcel Proust, il donna à 22 ans son premier drame et poursuivit hardiment une œuvre avec romans et recueils de nouvelles. Son étonnante lucidité fut remarquée, la facture de ses écrits saluée, quoique classique : ce sont Hercule et Mademoiselle (NRf, 1924), L’Homicide par imprudence (Fast, 1925), Prétextat (1925), Crise de croissance (1926), Voyage de l’esclave (Marcelle Lesage, 1926), Le Scandale (NRf, 1930, prix Interallié 1931), dont on souligne tantôt l’humour, tantôt l’amertume.
Pierre Bost est « lancé » et devient avec ses compères André Beucler et Jean Prévost une jeune figure de la littérature parisienne. Chroniqueur de la Revue hebdomadaire, rédacteur en chef de Marianne auprès d’Emmanuel Berl, il ne craint pas le travail, son goût est sûr et ses avis respectés. Il devient lecteur pour les éditions Gallimard et parviendra même à faire accepter La Nausée, rejetée d’abord. Mais le travail de journaliste, la « chronicaille », dévore son temps au point qu’il peine à écrire ses propres fictions. Aussi, en publiant enfin Monsieur Ladmiral va bientôt mourir en 1945, il clôt là sa bibliographie et tourne une page de sa vie. Pierre Bost est un peu Ladmiral…
Si, lorsqu’il meurt le l6 décembre 1975, l’écrivain Pierre Bost n’évoque plus rien aux littérateurs, il en est qui se souviennent de lui dans les milieux du cinéma. La littérature ne lui permettait pas de gagner son pain et le milieu du journalisme s’était révélé aussi cynique que démoralisant, Pierre Bost avait bifurqué vers le cinéma comme il en avait déjà le projet dans les années 1930. Il devint scénariste et dialoguiste pour Jean Aurenche et Claude Autant-Lara, adapta La Puissance et la gloire, La Symphonie pastorale, Gervaise et La Traversée de Paris, tous films qui ne passèrent pas inaperçus… En 1954, il fit encore un brillant retour au théâtre en faisant donner avec Claude-André Puget Un Nommé Judas qui rencontra le succès. Le cinéma et le théâtre auront été plus accueillants, et plus rentables. Trente ans plus tard, en 1894, Bertrand Tavernier fit encore de Monsieur Ladmiral va bientôt mourir « Un dimanche à la campagne » qui n’est pas sorti des esprits.
Parcours hautement symbolique que celui de Pierre Bost : sitôt éloigné de la librairie son nom avait été effacé des mémoires, manière typique de la gent de lettres qui ne garde des patronymes souvenir qu’à la stricte condition que les gazettes les impriment à intervalles réguliers - ou que l’université les emballe à longueur d’années. D’autres que Pierre Bost ont connu ce dédain et cette désinvolture. Et les malheureux qui n’ont pas su échapper, tels Louis Guilloux ou André Dhôtel, à ce métier d’écrire se sont condamnés à vivre de peu. On pourrait lire ainsi le court, simple et fort roman de Pierre Bost, Porte-malheur, qui fait tant penser au Jean Prévost des années 1930 : il est des destins auxquels on n’échappe pas. À moins de le décider.
Le Porte-malheur
Pierre Bost
Présenté par François Ouellet
Suivi de « Bertrand Tavernier se souvient de Pierre Bost » par Patrick Grée
Le Dilettante, 160 pages, 17 €
Égarés, oubliés Un métier qui paye
mars 2009 | Le Matricule des Anges n°101
| par
Éric Dussert
Pierre Bost connut le désenchantement du journalisme et des ingrats métiers de la littérature. Le cinéma lui fut plus doux.
Un auteur
Un livre
Un métier qui paye
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°101
, mars 2009.