En Afghanistan, à l’intérieur d’une maison que la guerre a vidée, au sein d’une ville proche mais silencieuse, seulement zébrée par les déflagrations des bombardements, une femme veille son mari taliban. Désormais grabataire, il n’est plus qu’un cadavre à peine vivant, un « corps vide » où « sous la peau diaphane, ses veines comme des vers essoufflés s’entrelacent avec les os saillants de la carcasse ». Chaque jour, le même rituel des soins corporels - toilette et vérification de la poche de perfusion, introduction du tube qui lui permet de s’alimenter - ramène l’épouse à l’homme, dans la chambre où seules s’aventurent une araignée ou une mouche, qui parfois s’insinue. Mais la résignation conjugale s’est effritée et, entre deux gestes d’infirmière, l’épouse dit maintenant, avec une violence croissante, sa lassitude et son exaspération : celle de sa condition, mais aussi la révolte qu’elle éprouve devant ce que les talibans ont fait des hommes, les réduisant à une masculinité fruste, qui exclut toute tendresse. Un peu plus tard elle est confrontée à un jeune soldat au turban, figure pathétique et enfantine derrière la kalashnikov brandie, incarnation même de cette difficulté des sexes à se rencontrer.
Huis clos aride et brûlant, le texte de Rahimi mêle avec force la dimension intimiste de l’histoire d’un couple et la virulence d’un brûlot, qui condamne les névroses meurtrières d’une société reniant à ses femmes - et finalement ses hommes - le droit d’exister. Écrit au présent, dans une langue précise, explicite, le récit met véritablement en scène l’explosion de la parole féminine, qui est aussi une confession, face au silence du piètre tyran anéanti ; et la forme du texte, fragmentée, avec ses scènes leitmotivs, mime les soubresauts de cette libération.
syngué sabour
Pierre de patience
d’atiq rahimi
P.O.L, 155 pages, 15 €
Domaine français Syngue sabour
septembre 2008 | Le Matricule des Anges n°96
| par
Delphine Descaves
Un livre
Syngue sabour
Par
Delphine Descaves
Le Matricule des Anges n°96
, septembre 2008.