Guy Viarre écrivait dans l’effarement violent de la langue, comme si elle était d’emblée, pour lui, l’expérience de la rupture, le report d’une folie où tourne l’irréparable. Les laisses en vers qui constituent les livres rassemblant Tautologie une, cernent avec obsession et lucidité un dehors qui va trop vite, selon les mots de Büchner. L’époque, le dehors, et en somme l’Histoire, les derniers vers de fragments retrouvés de Museau mis, le deuxième texte du volume, les nomment chacun, « dans le dédommagement impossible dans l’illisible vision de cela ».
Les poèmes de Guy Viarre sont nets, tranchants, et frontaux. Ils visent, dans le retour qu’ils font sur sa vie, sa fin. Ils commencent même par ce qui en lui prit fin, volontairement, en octobre 2001 (il avait 30 ans), quelques années après que les Éditions Unes publient ses premiers ouvrages, Devant le sel et Finir erre (1999). Son ami Cédric Demangeot, à qui l’on doit l’édition de Tautologie une, ainsi que la publication dans sa propre maison d’édition (Fissile) de quatre livres (quatre autres sont en préparation) le précise dans sa préface : « On ne lit pas Artaud, Rodanski, Celan sans savoir dans quelle trame d’événements s’inscrit le moindre mot (…). Or, en poésie notamment, l’anecdote souveraine, terriblement totale, inévitable et vide évidente et vidante est bien celle du suicide. On peut le déplorer, feindre le refus, toujours est-il que le constat est le même : un suicide a valeur de signe écrit, c’est un point final d’auteur, qui retourne toute l’œuvre sur elle-même. » Mais il ajoute aussi qu’il ne faut pas commencer par là, ni voir dans les vers de Viarre « l’annonce prémonitoire de l’acte final ». Plutôt entendre comment l’idée de finir l’errance, tout en la marquant et en la mâchant comme le mauvais journal de jours glaçants et vides, travaille la vrille de son écriture. June, que Fissile fait paraître simultanément à Tautologie une, le dit aussi, en des poèmes mêlant leur côté presque narratif à une syntaxe parfois violemment tordue : « je parle j’éclaire une victime je me/ bats contre mon aphasie comme contre/ une mine qu’on voudrait fermer ».
On est « soi », chez Guy Viarre, comme dans un bol de café froid, petit segment perdu dans le blanc d’une ravine charbonneuse. Isolé en somme dans sa grande peur de la montagne, car « à son pied on passe plu-/ tôt de son point de vue pour de l’ho-/ méopathie ». Entre l’impossibilité de passer et la dilution du sujet (devenu simple goutte d’eau vue de haut), il y a le chas par quoi entre la souffrance : « J’ai cru qu’on était/ exempt de souffrance en ne l’infligeant/pas » (June). Mais il n’y pas chez Viarre d’insistance, de complaisance, d’exhibitionnisme de la douleur. On ne joue pas avec elle, sans un rire qui parfois devient aussi cassant qu’elle est inévitable. On ne la parle pas sans densifier sa propre légèreté du négatif qu’il reste à faire, comme le disait Kafka dans son Journal. Et si lire c’est, selon l’auteur du Procès, fendre la mer gelée de son crâne d’un coup de hache, alors l’expérience que soutiennent à bout de bras les livres de Guy Viarre est identique. Le Livre des parois et autres poèmes (Grèges, 2005) fit aussi prendre la mesure de ce contre quoi se cognait Guy Viarre, quand Tautologie une dit devoir « entendre la bête se taire et se pendre, d’abord se taire/ et puis se pendre avec les aboiements qui ont fondu ». L’œil, la gorge, les organes du corps, le noir et la nuit, le sommeil qui ne vient pas, constituent le ressassement et l’insistance de son impossibilité de respirer. L’existence en sort pressée comme un fruit, « tout a été enlevé sans la tête/ pour l’entêtement » (Sans un, Fissile).
Dans cette pâte goudronneuse et illisible, dans ce trop plein de tête où tout s’affole, Guy Viarre trouve pourtant encore l’énergie d’écrire vite, chacun de ses derniers livres travaillant un vers épuré, telle une lame de couteau brillante. Façon de répondre à l’horreur et à l’étouffement par une sobriété aussi clarifiante qu’elle éclaire son versant le plus obscur : « C’est au moment que tu regardes que tu connais que tu disparais » écrit-il, alors qu’à l’opposé, morale de moine zen, le poète laisse le lecteur sur un « je regrette le ciel dit le ciel posé sur le bâton de/ l’homme en attente de parole quand l’homme parle ».
Guy Viarre Tautologie une, Flammarion, 248 pages, 18,50 € et June, Fissile (Grand’rue, 09310 Les Cabannes), 32 pages, 9 €
Poésie Braconnier de nuit
juillet 2007 | Le Matricule des Anges n°85
| par
Emmanuel Laugier
Les deux livres posthumes de Guy Viarre disent l’urgence de la fin, pour éloigner la douleur de n’être que soi et presque rien. Bouleversant.
Des livres
Braconnier de nuit
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°85
, juillet 2007.