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Égarés, oubliés Le phrasé Bessette

octobre 2006 | Le Matricule des Anges n°77 | par Éric Dussert

Femme désarmante issue des limbes, la romancière Hélène Bessette a surpris par sa candeur et sa manière. Raymond Queneau, Marguerite Duras et Nathalie Sarraute, notamment.

Le Bonheur de la nuit

Après Catherine Pozzi, Alexandra David-Neel, Isabelle Eberhardt, Irène Nemirovsky, Germaine Beaumont ou Annemarie Schwarzenbach, il est juste que reparaisse Hélène Bessette, figure singulière. Et dont la case « LNB7 » est restée inoccupée, malgré les avertissements d’Alfred Eibel, de Claude Royet-Journoud et, plus récemment, de Julien Doussinault, l’artisan de la résurrection de son œuvre. Qui est Hélène Bessette ?
Née « obscurément », selon ses propres mots, le 31 août 1918, à Levallois, d’une parfumeuse et d’un chauffeur de taxi, elle connaît une enfance modeste, soigne une tuberculose (1930) et entre à l’École Normale d’institutrices d’Alençon. Puis elle rencontre un étudiant en théologie qui l’épousera en 1939 et le suit.
En date du 4 décembre 1952, on trouve dans le Journal de Raymond Queneau une première apparition marquante de cette jeune femme étrange : « Elle a un peu l’air d’un rat, toute petite, pauvrement vêtue, un bonnet blanc de laine sur la tête. Je lui fais raconter sa vie. Brevet supérieur. Mariée à un pasteur. (…) Je l’interroge au sujet de la Nouvelle-Calédonie : « M. Brabant a rencontré là-bas une jeune fille qui lui a plu, après je suis allée en Australie où je pensais refaire ma vie. C’est en Nouvelle-Calédonie que j’ai connu M. Leenhardt. Il est triste parce que je ne suis plus croyante. Oui, je ne suis plus croyante, oh ! ce n’est pas parce que mon mari m’a trompée, bagatelle ! mais après dix ans passés dans les églises, j’ai pensé que c’était du bluff. » »
Queneau est touché par ce personnage à la fois déstabilisant et nuageux. Ses écrits lui avaient été transmis par Michel Leiris. Un collègue de ce dernier, l’ethnologue Maurice Leenhardt, avait découvert la jeune femme en Nouvelle-Calédonie et lu dans Evangile-Sud, revue qu’elle avait fondée en 1947 avec son mari, un roman en feuilleton, Marie Désoublie. Et puis, la vie d’Hélène Bessette avait basculé en 1948. Après un passage à Sidney, où elle s’emploie à l’usine Palmolive, elle rentre en France en 1950.
Avec pour tout bagage une valise de linge usagée, elle est institutrice à Roubaix où elle loge, avec son fils, dans un hôtel situé en face de la gare. Elle écrit. Alors que Le Seuil, alerté, lui avait fixé un rendez-vous, Queneau tire le premier : il lui fait signer un contrat pour dix livres. Son premier roman, Lili pleure, paraît en 1953, il sera le premier d’une série de quatorze, conclue par son chef-d’œuvre, Ida ou le délire (1973). Non sans heurts, car les nostromos de Gallimard refusent dans l’intervalle certains de ses manuscrits. En 1967, elle se propose d’assiéger la maison : « Je prendrai simplement l’attitude révolutionnaire et j’irai occuper le canapé ». Tentant de placer ailleurs ses textes refusés, elle souhaite rompre un contrat qu’elle juge abusif : « Il me déplaît de travailler pour les Gallimard, dont la seule optique est le bien-être des Gallimard de l’an deux mille, dussé-je mourir de misère et de diffamation prématurément ».
Des échecs tels que celui de La Grande Balade (1961) dont seuls cent treize exemplaires se vendent, manifestent les difficultés de sa prose à trouver lecteur. Étourdissante, trop nouvelle sans doute, elle a cependant une grâce impérieuse, un débridé sans ostentation, une simplicité trompeuse et cette urgence du phrasé qui devrait séduire aujourd’hui. « Personne n’a vu que ma « manière » venait des Psaumes », confiait-elle à Queneau. S’en rendra-t-on compte aujourd’hui que paraît un roman inédit, Le Bonheur de la nuit ?
Elle avait expliqué au même Queneau qu’elle souhaitait être éditée « à cause des gens » qui la prennent « pour une (geste) ». Elle s’étonne de ce que les gens sont surpris quand elle parle, elle qui déclare le 4 décembre : « c’est Noël aujourd’hui. » Mais les gens sont aussi étonnés par ce qu’elle écrit. Et elle écrit beaucoup. Comme les fous littéraires, ou ces artistes de l’art brut Chaissac avait et cette manie de la lettre et cette candeur désarmante, Hélène Bessette épouse une rationalité qui n’appartient qu’à elle. Comme l’observe Raymond Queneau, elle a vu les Fidji, les Nouvelles-Hébrides, mais « ça ne semble pas lui avoir fait beaucoup plus d’effet qu’à Raymond Roussel. » N’est-ce pas un signe ?
Reconnue toutefois, Hélène Bessette figure à plusieurs reprises dans les listes du Goncourt ou des Deux-Magots, y obtenant des voix celle de Queneau à coup sûr et décroche dès 1954 le prix Cazes pour Lili pleure. Pourtant, l’attention à son égard s’estompe. En 1962, elle démissionne de l’Éducation nationale, s’installe en Suisse, où elle fait des ménages, puis habite Château-Thierry ou Lausanne. En 1974, démunie, elle revêt l’uniforme de domestique à Londres. C’est une période noire. Dès les années 1960, Duras et Queneau lui étaient cependant venus en aide, réclamant pour elle des bourses, signant des articles enthousiastes, comme ce « Lisez Hélène Bessette » de 1964, par Duras, dans L’Express. Mais rien n’y fait : Gallimard dort sur son œuvre, comme sur beaucoup d’autres. Et puis Hélène Bessette s’est éteinte, le 10 octobre 2000, dans l’espoir dont ne sait quelle rémission. Son œuvre attendait : n’attendez plus.

Éric Dussert

Le Bonheur de la nuit
Hélène Bessette
Postface de Bernard Noël
Laureli/Léo Scheer, 255 p., 16

Le phrasé Bessette Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°77 , octobre 2006.
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